Louis Napoléon le Grand
Préambule
Le second Empire et Napoléon III n'occupent pas une place très enviable dans notre conscience collective.
L'époque suscite en général des jugements dépourvus de compréhension et d'indulgence. Nous croyons savoir qu'on y fit la fête, qu'on y fit la guerre, qu'on y fit de l'argent. Ferdinand Bac l'a peinte comme une « parade militaire traversant un bal masqué »; il eût d'ailleurs pu ajouter que certains des danseurs se comportaient, le jour, en redoutables agioteurs.
Deux décennies d'une histoire complexe et passionnante se trouvent ainsi réduites à peu de chose, et placées sous le signe de la légèreté: légèreté des préoccupations, légèreté des comportements, légèreté des goûts, autant que légèreté des décisions politiques conduisant au désastre final. Car si l'on parle avec tant d'insistance de la fête impériale, n'est-ce pas pour souligner que des réalités mal comprises viendraient bientôt signifier à celui qui refusait de les admettre que la fête était finie?
Napoléon III, en tout cas, n'a pas eu un Abel Gance pour réaliser un chef-d'oeuvre à sa gloire. Les rares cinéastes à se souvenir de son existence l'ont traité comme un simple faire-valoir dans des bandes à la guimauve ou des films de boulevard dont les premiers rôles reviennent à des mijaurées, des grues ou des aventurières. Du côté de Hollywood, son image, comme celle de tous les Français impliqués dans l'aventure mexicaine, relève du grotesque. Et quand Sacha Guitry s'intéresse à lui, ce n'est pas pour porter son destin à l'écran, c'est pour le présenter sur les planches, au début de cette charmante comédie musicale qu'est Mariette, comme un galant timide dans un climat convenu de complot, de frivolité et d'insouciance.
A en croire les uns et les autres, l'homme qui incarna toute cette époque se situerait, sur la distance qui sépare la gloire du ridicule, quelque part entre Napoléon I er et Jean Bédel Bokassa. Les carrosses dans les rues de Bangui, c'était certes risible, mais ne pourrait-on en dire presque autant de cette mauvaise et pâle imitation du premier Empire que serait le second? Et la photographie, dans ses balbutiements, ne fait qu'aggraver les choses: bien loin de rapprocher de nous ses personnages, elle accentue leur cocasserie et vient ajouter à la déformation caricaturale dont ils sont les victimes. Plus encore que les autres, cette déformation atteint l'empereur dont on va retenir d'autant plus aisément qu'il accéda au pouvoir par un coup d'État et ne sut se servir de ce pouvoir confisqué que pour nous conduire à l'effondrement de Sedan.
S'il fallait justifier le projet d'où procède ce livre, avec les risques qu'il comporte, on pourrait invoquer l'excuse qu'il s'agit d'écrire non sur Napoléon III mais sur Louis Napoléon Bonaparte, et d'analyser ainsi l'évolution d'un homme et d'une destinée plutôt que celle d'un monarque et d'un règne.
Une telle justification aurait tout d'une échappatoire, même si ce ne serait pas la première fois qu'on aurait choisi de dissocier l'homme tout court — auquel seraient attribuées quelques vertus, quand ce n'est pas un véritable génie prémonitoire — et le chef d'État, présenté comme un médiocre despote, auteur malencontreux d'un certain nombre de balourdises.
Adrien Dansette résume cette façon de voir: « Napoléon III est l'homme de son temps qui a le mieux prévu l'avenir et le plus mal dirigé le présent. D'une intelligence supérieure à la plupart des hommes politiques contemporains, il fut l'un des seuls à avoir la prescience de la civilisation moderne. Il prévit la constitution de nouvelles unités nationales et la transformation de la vie urbaine; il se montra favorable à l'instruction obligatoire, au service militaire universel, aux retraites ouvrières. Mais dénué d'esprit de décision et du sens des possibilités, il ne sut ni mesurer ses projets à ses moyens, ni hausser ses moyens au niveau de ses projets... »
Ainsi, réduisant le personnage à ses idées et ses sentiments personnels, pourrait-on se permettre de passer rapidement sur son incapacité, réelle ou prétendue, à traduire dans les faits une vision dont on aurait reconnu au préalable l'originalité et la modernité.
Tel n'est pas le chemin qu'on entend suivre. Il est d'autant moins question d'occulter le bilan de Napoléon III homme public qu'on a la faiblesse de penser qu'il est considérable.
Pourtant
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