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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Rousset
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bons. Mais
que je sache, les sociaux-démocrates ne pénétraient jamais dans la fraction. Ils
détestaient les prêtres, suspectaient les militaires de profession. J’ai dit
que Erich, malgré les dangers, ne s’opposa pas à nos conférences sur l’U.R.S.S.
Par contre, un jour, il fit une scène très caractéristique. Le D r Crouzet, un gaulliste de Marseille, proposa que le soir, en rentrant de l’appel,
les Français se tiennent debout une minute en silence, tournés vers le pays. L’expérience
fut faite une fois. Le lendemain, Erich se répandit en discours furieux. « Les
Français sont des chauvins », déclara-t-il. « Je suis un
internationaliste. Je suis comme tel dans les camps. Je ne tolérerai pas de
manifestations chauvines dans mon Block. » Il interdit en conséquence
absolument toute affaire de ce genre.
    Des communistes allemands avaient décidé d’organiser un
tribunal après la libération, jugeant les communistes internés selon leur
attitude dans les camps. Ils avaient envisagé également de réunir un congrès de
tous les communistes allemands et étrangers concentrationnaires. Ce congrès
devait tirer les leçons des camps et aborder les problèmes de la politique
internationale au lendemain de la seconde guerre mondiale.
    Ils gardaient tous une très grande confiance dans les
possibilités révolutionnaires de l’Europe, dont ils liaient fréquemment le
développement à l’extension militaire et économique de l’U.R.S.S. Ils s’abstenaient
de se prononcer sur la dissolution du Komintern et, d’une façon générale, sur
tous les problèmes récents.
    Dès 1944, ils se préoccupèrent des conditions qui seraient
créées par la liquidation de la guerre. Ils avaient une grande crainte que les
S.S. ne les tuent tous auparavant. Et ce n’était point une crainte imaginaire. Je
suis loin d’être au courant de tous leurs plans à ce propos. Les deux termes du
problème étaient la sécurité du côté des S.S., la sécurité par rapport aux « droit
commun » de toutes les nationalités qui faisaient la grande masse des
camps.
    A Helmstedt, Emil avait travaillé assez sérieusement les
militaires qui nous gardaient. Un des Feldwebel était un ancien communiste, un
autre un démocrate. Un accord fut passé avec eux. Ils affirmèrent que, tant qu’ils
seraient là, les soldats ne tireraient pas sur les concentrationnaires, même si
les S.S. en donnaient l’ordre. Dans l’éventualité d’une suspension des
hostilités alors que les troupes alliées seraient encore éloignées, les soldats
devaient s’emparer du camp, tuer les S.S., armer le groupe des communistes
allemands et un noyau d’étrangers dont j’avais, aux yeux d’Emil, la responsabilité.
    Mais les militaires partirent et ce furent les semaines
affreuses de Wöbbelin.
    *
    * *
    La fin des politiques ne fut pas sans signification dans
cette Allemagne de la défaite. Les dernières semaines à Wöbbelin furent assez
troubles. Plusieurs transports se trouvaient rassemblés dans ce campement, et
les hommes se connaissaient mal. La faim faisait des ravages. La distance était
d’environ deux cents mètres entre les cuisines et le Revier, et une dizaine d’hommes
armés étaient nécessaires pour protéger les bidons de soupe que l’on portait
aux malades. Chaque jour, des violences se commettaient sur le terrain vague
qui entourait les baraques. Tout de suite après la distribution, des groupes d’une
dizaine se formaient, qui assaillaient les plus faibles, les isolés, pour leur
voler la nourriture. Il y eut trois cas d’anthropophagie, et l’on dut faire
garder la morgue. Pas l’ombre d’un médicament ; les hommes mouraient par
files. Bientôt, il fut difficile de les transporter. L’odeur autour des
charniers était infecte. Des scènes de folie chaque nuit dans le Block des « convalescents »,
une succursale du Revier où l’on entassait les faibles, les agonisants, où se
terraient quelques autres pour échapper aux corvées. Toutes les nuits, des
hommes étaient tués et les hurlements ne cessaient pas jusqu’à l’aube. De temps
à autre, les Kapos intervenaient à coups de matraque.
    Un début de complot s’organisa du côté des Polonais contre
les communistes allemands et les Russes. Quelques Français y étaient mêlés. Les
communistes allemands craignaient aussi les S.S., et ils durent préparer une
défense, car, la veille de la libération, Emil vint me trouver pour me dire

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