Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Rousset
Vom Netzwerk:
devant une velléité de manifestation. Il n’y eut pas
de velléité.
    Le ravage du nazisme avait été grand, beaucoup plus grand qu’on
ne le pensait à l’étranger. L’absence de tout centre polarisateur au delà des
frontières, des murailles de propagande condamnant dans le même péché les
maîtres du régime et le peuple, n’aidèrent pas peu les Seigneurs dans leur
œuvre de destruction. Mais ce n’est pas la raison décisive. Il fallait entendre
les civils allemands et voir leur sourire lorsqu’on faisait allusion devant eux
à un article de leur presse. « De la propagande », disaient-ils. C’était
sans doute le mot le plus populaire dans le grand Reich. Le seul vestige d’humour
qui restât. Et ce, non seulement de la part des adversaires (les adhérents des
vieux partis), mais encore, et au même degré, de ceux qui étaient les plus imprégnés
par la démagogie nazie. L’arme véritable était la terreur.
    Ici en France, malgré l’occupation, on ne sait pas encore ce
qu’est la terreur, cette terreur permanente et universelle. Non seulement elle
brisa moralement et physiquement les vieux partis, mais ensuite tout le monde
eut peur de parler et finalement cessa de penser. Non seulement l’opposition
fut écrasée, mais les classes désorganisées dans leurs éléments constituants. Le
prolétariat allemand perdit la notion de sa fonction sociale et la conscience
qu’il pouvait prendre une initiative, intervenir dans la crise. La réaction n’alla
pas au delà de la désertion et d’une sorte de grève perlée généralisée, faite
essentiellement de fatigue et d’abandon. Tout le monde lâchait les rênes.
    Les camps de concentration laissèrent l’Allemagne vide de
substance.

XVIII
LES ASTRES MORTS POURSUIVENT LEUR COURSE
    L’univers concentrationnaire se referme sur lui-même. Il
continue maintenant à vivre dans le monde comme un astre mort chargé de
cadavres.
    Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible. Même
si les témoignages forcent leur intelligence à admettre, leurs muscles ne
croient pas. Les concentrationnaires savent. Le combattant qui a été des mois
durant dans la zone de feu a fait connaissance de la mort. La mort habitait
parmi les concentrationnaires toutes les heures de leur existence. Elle leur a
montré tous ses visages. Ils ont touché tous ses dépouillements. Ils ont vécu l’inquiétude
comme une obsession partout présente. Ils ont su l’humiliation des coups, la
faiblesse du corps sous le fouet. Ils ont jugé les ravages de la faim. Ils ont
cheminé des années durant dans le fantastique décor de toutes les dignités
ruinées. Ils sont séparés des autres par une expérience impossible à
transmettre.
    La décomposition d’une société, de toutes les classes, dans
la puanteur des valeurs détruites, leur est devenue sensible, réalité immédiate
comme une ombre menaçante profilée sur toute la planète solidaire. Le mal est
incommensurable aux triomphes militaires. Il est la gangrène de tout un système
économique et social. Il contamine encore par au delà des décombres.
    Peu de concentrationnaires sont revenus, et moins encore
sains. Combien sont des cadavres vivants qui ne peuvent plus que le repos et le
sommeil !
    Cependant, dans toutes les cités de cet étrange univers, des
hommes ont résisté. Je songe à Hewitt. Je songe à mes camarades : Marcel
Hic, mort à Dora ; Roland Filiatre et Philippe, revenus le corps ravagé, mais
leur condition de révolutionnaire sauve. A Walter, à Emil, à Lorenz, hanté de
savoir sa femme, elle aussi, dans un camp, et qui cependant jamais ne s’abandonna.
A Yvonne, au D r Rohmer, à Lestin, à Maurice, un communiste de Ville
juif, travaillé par la fièvre, mais toujours solide et calme. A Raymond, crevassé
de coups et fidèle à sa vie. A Claude, à Marcel, affamés, et tenant haut quand
même la dignité de leur jeunesse. A Guy, l’adolescent, à Robert Antelme mon
compagnon de travail dans le Paris occupé, et qui revint comme un fantôme, mais
passionné d’être. A Broguet, le boulanger, qui sut toujours s’évader dans un
rêve enfantin. Pierre, qui, pour vivre, construisit des aventures dangereuses. Veillard,
mort à Neue-Bremm. A Paul Faure, si attentif et posé, habile à résoudre les
petites choses décisives. A Crémieux, qui, aux pires moments de sa désespérance,
ne trahit pas son art. A Martin, mon plus intime compagnon des jours de la mort.
Vieillard de

Weitere Kostenlose Bücher