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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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se
propose…
    – C’est bon, interrompit le commandant,
la parole de la citoyenne Thérèse me suffit !
    Et s’adressant en allemand à Joseph Spick, il
lui dit en fronçant les sourcils :
    – Dis donc, toi, est-ce que tu veux être
fusillé ? Cela ne coûtera que la peine de te conduire dans ton
jardin ! Ne sais-tu pas que le papier de la République vaut
mieux que l’or des tyrans ? Écoute, pour cette fois je veux
bien te faire grâce, en considération de ton ignorance ; mais
s’il t’arrive encore de cacher tes vivres et de refuser les
assignats en payement, je te fais fusiller sur la place du village,
pour servir d’exemple aux autres. Allons, marche, grand
imbécile !
    Il débita cette petite harangue très
rondement ; puis, se tournant vers la cantinière :
    – C’est bien, Thérèse, dit-il, tu peux
charger tes tonneaux, cet homme n’y mettra pas opposition. Et vous
autres, qu’on le laisse aller.
    Tout le monde sortit, Thérèse en tête et
Joseph le dernier. Le pauvre diable n’avait plus une goutte de sang
dans les veines ; il venait d’en échapper d’une belle.
    Le jour, dans l’intervalle, était venu.
    Le commandant se leva, plia la carte et la mit
dans sa poche. Puis il s’avança jusqu’à l’une des fenêtres et se
mit à regarder le village. L’oncle et moi nous regardions à l’autre
fenêtre. Il pouvait être alors cinq heures du matin.

III
     
    Toute ma vie je me rappellerai cette rue
silencieuse encombrée de gens endormis, les uns étendus, les autres
repliés, la tête sur le sac. Je vois encore ces pieds boueux, ces
semelles usées, ces habits rapiécés, ces faces jeunes aux teintes
brunes, ces vieilles joues rigides, les paupières closes ; ces
grands chapeaux, ces épaulettes déteintes, ces pompons, ces
couvertures de laine à bordure rouge filandreuse, pleines de trous,
ces manteaux gris, cette paille dispersée dans la boue. Et le grand
silence du sommeil après la marche forcée, ce repos absolu
semblable à la mort ; et le petit jour bleuâtre enveloppant
tout cela de sa lumière indécise, le soleil pâle montant dans la
brume, les maisonnettes aux larges toitures de chaume, regardant de
leurs petites fenêtres noires ; et tout au loin, des deux
côtés du village, sur l’Altenberg et le Réepockel, au-dessus des
vergers et des chènevières, les baïonnettes des sentinelles
scintillant parmi les dernières étoiles, non, jamais je n’oublierai
cet étrange spectacle ; j’étais bien jeune alors, mais de tels
souvenirs sont éternels.
    À mesure que le jour grandissait, s’animait
aussi le tableau : une tête se levait, s’appuyait sur le coude
et regardait, puis bâillait et se couchait de nouveau. Ailleurs un
vieux soldat se dressait tout à coup, secouait la paille de ses
habits, se coiffait de son feutre et repliait son lambeau de
couverture ; un autre aussi roulait son manteau et le bouclait
sur son sac ; un autre tirait de sa poche un bout de pipe et
battait le briquet. Les premiers levés se rapprochaient et
causaient entre eux, d’autres venaient les rejoindre en frappant de
la semelle, car il faisait froid à cette heure ; les feux
allumés dans la rue et sur la place avaient fini par
s’éteindre.
    En face de chez nous, sur la petite place,
était la fontaine ; un certain nombre de Républicains, rangés
autour des deux grandes auges moussues, se lavaient, riant et
plaisantant malgré le froid ; d’autres venaient allonger la
lèvre au goulot.
    Puis les maisons s’ouvraient une à une, et
l’on voyait les soldats en sortir, inclinant leurs grands chapeaux
et leurs sacs sous les petites portes. Ils avaient presque tous la
pipe allumée.
    À droite de notre grange, devant l’auberge de
Spick, stationnait la charrette de la cantinière couverte d’une
grande toile ; elle était à deux roues, en forme de brouette,
les bras posant à terre.
    Derrière, la mule, couverte d’une vieille
housse de laine à carreaux rouges et bleus, attirait de notre
échoppe une longue mèche de foin, qu’elle mâchait gravement, les
yeux à demi fermés d’un air sentimental.
    La cantinière, à la fenêtre en face,
raccommodait une petite culotte, et se penchait de temps en temps
pour jeter un coup d’œil sous le hangar.
    Là, le tambour-maître Horatius Coclès,
Cincinnatus, Merlot et un grand gaillard jovial, maigre, sec, à
cheval sur des bottes de foin, se faisaient la queue l’un à
l’autre ; ils se peignaient les tresses

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