Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
Vom Netzwerk:
grave.
    – Eh bien ! qu’on me l’amène.
    Le sergent sortit.
    Deux minutes après, notre allée se remplissait
de monde ; la porte se rouvrit, et Joseph Spick, avec sa
petite veste, son grand pantalon de toile et son bonnet de laine
frisée, parut sur le seuil, entre quatre soldats de la République
l’arme au bras, la figure jaune comme du pain d’épices, les
chapeaux usés, les coudes troués, de larges pièces aux genoux, et
les souliers en loques, recousus avec de la ficelle ; ce qui
ne les empêchait pas de se redresser et d’être fiers comme des
rois.
    Joseph, les mains dans les poches de sa veste,
le dos rond, le front plat et les joues pendantes, ne se tenait
plus sur ses longues jambes ; il regardait à terre comme
effaré.
    Derrière, dans l’ombre, se voyait la tête
d’une femme pâle et maigre, qui attira tout de suite mon
attention ; elle avait le front haut, le nez droit, le menton
allongé et les cheveux d’un noir bleuâtre. Ces cheveux lui
descendaient en larges bandeaux sur les joues et se relevaient en
tresses derrière les oreilles, de sorte que sa figure, dont on ne
voyait que la face sans les côtés, semblait extrêmement longue. Ses
yeux étaient grands et noirs. Elle portait un chapeau de feutre à
cocarde tricolore, et lié sous le menton. Comme je n’avais vu
jusqu’alors dans notre pays que des femmes blondes ou brunes,
celle-ci me produisit un effet d’étonnement et d’admiration
extraordinaire, tout jeune que j’étais ; je la regardais
ébahi ; l’oncle ne me paraissait pas moins étonné que moi, et
quand elle entra, suivie de cinq ou six autres Républicains
habillés comme les premiers, durant tout le temps qu’elle fut là,
nous ne la quittâmes pas des yeux.
    Une fois dans la chambre, nous vîmes qu’elle
avait un grand manteau de drap bleu, à triple collet tombant
jusqu’au-dessous des coudes, un petit tonneau, dont le cordon lui
passait en sautoir sur l’épaule ; enfin, autour du cou, une
grosse cravate de soie noire à longues franges, quelque butin de la
guerre sans doute, et qui relevait encore la beauté de sa tête
calme et fière.
    Le commandant attendait que tout le monde fût
entré, regardant surtout Joseph Spick, qui semblait plus mort que
vif. Puis, s’adressant à la femme qui, venait de relever son
chapeau d’un mouvement de tête :
    – Eh bien, Thérèse, fit-il, qu’est-ce qui
se passe ?
    – Vous savez, commandant, qu’à la
dernière étape je n’avais plus une goutte d’eau-de-vie, dit-elle
d’un ton ferme et net ; mon premier soin, en arrivant, fut de
courir par tout le village pour en trouver, en la payant, bien
entendu. Mais les gens cachent tout, et depuis une demi-heure
seulement, j’ai découvert la branche de sapin à la porte de cet
homme. Le caporal Merlot, le fusilier Cincinnatus et le
tambour-maître Horatius Coclès me suivaient pour m’aider. Nous
entrons, nous demandons du vin, de l’eau-de-vie, n’importe
quoi ; mais le
kaiserlick
n’avait rien, il ne
comprenait pas, il faisait le sourd. On se met donc à chercher, à
regarder dans tous les coins, et finalement nous trouvons l’entrée
de la cave au fond d’un bûcher, dans la cour, derrière un tas de
fagots qu’il avait mis devant.
    « Nous aurions pu nous fâcher ; au
lieu de cela, nous descendons et nous trouvons du vin, du lard, de
la choucroute, de l’eau-de-vie ; nous remplissons nos
tonneaux, nous prenons du lard, et puis nous remontons sans
esclandre. Mais, en nous voyant revenir chargés, cet homme, qui se
tenait tranquillement dans la chambre, se mit à crier comme un
aveugle, et au lieu d’accepter mes assignats, il les déchira et me
prit par le bras en me secouant de toutes ses forces. Cincinnatus
ayant déposé sa charge sur la table, prit ce grand flandrin au
collet et le jeta contre la fenêtre de sa baraque. C’est alors que
le sergent Laflèche est arrivé. Voilà tout, commandant. »
    Quand cette femme eut parlé de la sorte, elle
se retira derrière les autres, et tout aussitôt un petit homme sec,
maigre et brusque, dont le chapeau penchait sur l’oreille, et qui
tenait sous son bras une longue canne à pomme de cuivre en forme
d’oignon, s’avança et dit :
    – Commandant, ce que la citoyenne Thérèse
vient de vous communiquer, c’est l’indignation de la mauvaise foi,
que tout chacun aurait eue de se trouver nez à nez avec un
kaiserlick
dépourvu de tout sentiment civique, et qui

Weitere Kostenlose Bücher