Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu
carré, large des épaules, coiffé d’un
grand feutre, et qui disait :
– Bonsoir, monsieur le docteur.
– Asseyez-vous,
mauser
[1] , répondait l’oncle. Lisbeth, ouvre la
cuisine.
Lisbeth poussait la porte, et la flamme rouge,
dansant sur l’âtre, nous montrait le taupier en face de notre
table, regardant de ses petits yeux gris ce que nous mangions.
C’était une véritable mine de rat des champs : le nez long, la
bouche petite, le menton rentrant, les oreilles droites, quatre
poils de moustache jaunes ébouriffés. Sa souquenille de toile grise
lui descendait à peine au bas de l’échine ; son grand gilet
rouge, aux poches profondes, ballottait sur ses cuisses, et ses
énormes souliers, tout jaunes de glèbe, avaient de gros clous qui
luisaient sur le devant, en forme de griffes, jusqu’au haut des
épaisses semelles.
Le mauser pouvait avoir cinquante ans ;
ses cheveux grisonnaient, de grosses rides sillonnaient son front
rougeâtre, et des sourcils blancs à reflets d’or lui tombaient
jusque sur le globe de l’œil.
On le voyait toujours aux champs en train de
poser ses attrapes, ou bien à la porte de son rucher à mi-côte,
dans les bruyères du Birkenwald, avec son masque de fil de fer, ses
grosses moufles de toile et sa grande cuiller tranchante pour
dénicher le miel des ruches.
À la fin de l’automne, durant un mois, il
quittait le village, son bissac en travers du dos, d’un côté le
grand pot à miel, de l’autre la cire jaune en briques, qu’il allait
vendre aux curés des environs pour faire des cierges.
Tel était le mauser.
Après avoir bien regardé sur la table, il
disait :
– Ça, c’est du fromage… ça, ce sont des
noisettes.
– Oui, répondait l’oncle ; à votre
service.
– Merci ; j’aime mieux fumer une
pipe maintenant. Alors il tirait de sa poche une pipe noire, garnie
d’un couvercle de cuivre à petite chaînette. Il la bourrait avec
soin, continuant de regarder, puis il entrait dans la cuisine,
prenait une braise dans le creux de sa main calleuse et la plaçait
sur le tabac. Je crois encore le voir, avec sa mine de rat, le nez
en l’air, tirer de grosses bouffées en face de l’âtre pourpre, puis
rentrer et s’asseoir dans l’ombre, au coin du fourneau, les jambes
repliées.
En dehors des taupes et des abeilles, du miel
et de la cire, le mauser avait encore une autre occupation
grave : il prédisait l’avenir moyennant le passage des
oiseaux, l’abondance des sauterelles et des chenilles, et certaines
traditions inscrites dans un gros livre à couvercle de bois, qu’il
avait hérité d’une vieille tante de Héming, et qui l’éclairait sur
les choses futures.
Mais pour entamer le chapitre de ses
prédictions, il lui fallait la présence de son ami Koffel, le
menuisier, le tourneur, l’horloger, le tondeur de chiens, le
guérisseur de bêtes, bref, le plus beau génie d’Anstatt et des
environs.
Koffel faisait de tout : il rafistolait
la vaisselle fêlée avec du fil de fer, il étamait les casseroles,
il réparait les vieux meubles détraqués, il remettait l’orgue en
bon état quand les flûtes ou les soufflets étaient dérangés ;
l’oncle Jacob avait même dû lui défendre de redresser les jambes et
les bras cassés, car il se sentait aussi du talent pour la
médecine. Le mauser l’admirait beaucoup et disait
quelquefois :
– Quel dommage que Koffel n’ait pas
étudié !… quel dommage !
Et toutes les commères du pays le regardaient
comme un être universel.
Mais tout cela ne faisait pas bouillir sa
marmite, et le plus clair de ses ressources était encore d’aller
couper de la choucroute en automne, son tiroir à rabots sur le dos
en forme de hotte, criant de porte en porte :
– Pas de choux ? pas de
choux ?
Voilà pourtant comment les grands esprits sont
récompensés.
Koffel, petit, maigre, noir de barbe et de
cheveux, le nez effilé, descendant tout droit en pointe comme le
bec d’une sarcelle, ne tardait pas à paraître, les poings dans les
poches de sa petite veste ronde, le bonnet de coton sur la nuque,
la pointe entre les épaules, sa culotte et ses gros bas bleus,
tachés de colle-forte, flottant sur ses jambes minces comme des
fils d’archal, et ses savates découpées en plusieurs endroits pour
faire place à ses oignons. Il entrait quelques instants après le
mauser et, s’avançant à petits pas, il disait d’un air
grave :
– Bon appétit, monsieur le
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