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Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu

Titel: Madame Thérèse ou Les Volontaires de 92 - Pourquoi Hunebourg ne fut pas rendu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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carré !
    Les officiers, les tambours, la cantinière se
repliaient en même temps autour de la fontaine, tandis que les
compagnies se croisaient comme un jeu de cartes ; en moins
d’une minute, elles formèrent le carré sur trois rangs, les autres
au milieu, et presque aussitôt il se fit dans la rue un bruit
épouvantable, les Croates arrivaient ; la terre en tremblait.
Je les vois encore déboucher au tournant de la rue, leurs grands
manteaux rouges flottant derrière eux comme les plis de cinquante
étendards, et courbés si bas sur leur selle, la latte en avant,
qu’on apercevait à peine leurs faces osseuses et brunes aux longues
moustaches jaunes.
    Il faut que les enfants soient possédés du
diable, car, au lieu de me sauver, je restai là, les yeux
écarquillés, pour voir la bataille. J’avais bien peur, c’est vrai,
mais la curiosité l’emportait encore.
    Le temps de regarder et de frémir, les Croates
étaient sur la place. J’entendis à la même seconde le commandant
crier : « Feu ! » Puis un coup de tonnerre,
puis rien que le bourdonnement de mes oreilles. Tout le côté du
carré tourné vers la rue venait de faire feu à la fois ; les
vitres de nos fenêtres tombaient en grelottant ; la fumée
entrait dans la chambre avec des débris de cartouches, et l’odeur
de la poudre remplissait l’air.
    Moi, les cheveux hérissés, je regardais, et je
voyais les Croates sur leurs grands chevaux, debout dans la fumée
grise, bondir, retomber et rebondir, comme pour grimper sur le
carré et ceux de derrière arriver, arriver sans cesse, hurlant
d’une voix sauvage : « 
Forvertz !
forvertz !
[2]  »
    – Feu du second rang ! cria le
commandant, au milieu des hennissements et des cris sans fin.
    Il avait l’air de parler dans notre chambre
tant sa voix était calme.
    Un nouveau coup de tonnerre suivit ; et
comme le crépi tombait, comme les tuiles roulaient des toits, comme
le ciel et la terre semblaient se confondre, Lisbeth, derrière,
dans la cuisine, poussait des cris si perçants que, même à travers
ce tumulte, on les entendait comme un coup de sifflet.
    Après les feux de peloton commencèrent les
feux de file. On ne voyait plus que les fusils du deuxième rang
s’abaisser, faire feu et se relever, tandis que le premier rang, le
genou à terre, croisait la baïonnette, et que le troisième
chargeait les fusils et les passait au second.
    Les Croates tourbillonnaient autour du carré,
frappant au loin de leurs grandes lattes ; de temps en temps
un chapeau tombait, quelquefois l’homme. Un des ces Croates,
repliant son cheval sur les jarrets, bondit si loin qu’il franchit
les trois rangs et tomba dans le carré ; mais alors le
commandant républicain se précipita sur lui, et d’un furieux coup
de pointe le cloua pour ainsi dire sur la croupe de son
cheval ; je vis le Républicain retirer son sabre rouge jusqu’à
la garde ; cette vue me donna froid ; j’allais
fuir ; mais j’étais à peine levé, que les Croates firent
volte-face et partirent, laissant un grand nombre d’hommes et de
chevaux sur la place.
    Les chevaux essayaient de se relever, puis
retombaient. Cinq ou six cavaliers, pris sous leur monture,
faisaient des efforts pour dégager leurs jambes ; d’autres
tout sanglants se traînaient à quatre pattes, levant la main et
criant d’une voix lamentable :
Pardône,
Françôse !
[3] dans la
crainte d’être massacrés ; quelques-uns, ne pouvant endurer ce
qu’ils souffraient, demandaient en grâce qu’on les achevât. Le plus
grand nombre restaient immobiles.
    Pour la première fois je compris bien la
mort : ces hommes que j’avais vus deux minutes avant, pleins
de vie et de force, chargeant leurs ennemis avec fureur, et
bondissant comme des loups, ils étaient là, couchés pêle-mêle,
insensibles comme les pierres du chemin.
    Dans les rangs des Républicains il y avait
aussi des places vides, des corps étendus sur la face, et quelques
blessés, les joues et le front pleins de sang ; ils se
bandaient la tête, le fusil au pied, sans quitter les rangs ;
leurs camarades les aidaient à serrer le mouchoir et à remettre le
chapeau dessus.
    Le commandant, à cheval près de la fontaine,
la corne de son grand chapeau à plumes sur le dos et le sabre au
poing, faisait serrer les rangs ; près de lui se tenaient les
tambours en ligne, et un peu plus loin, tout près de l’auge, la
cantinière avec sa charrette. On entendait les trompettes

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