Mademoiselle
revenir à la Montespan et de lui faire encore deux enfants.
Que me reste-t-il à présent ? De l'argent, des terres, comme d'habitude.
Que dois-je faire du peu qu'il me reste à vivre ? Broder de perles et de fil d'argent d'inutiles pare-feux, comme celui que je tiens entre les mains. Acheter des livres pieux, les lire peut-être, bâtir un séminaire et un hôpital dans la ville d'Eu, écrire les réflexions que m'inspirent les Béatitudes de Jésus-Christ...
Oui, mais surtout je dois me plier à la volonté divine, me soumettre au plaisir de Dieu. Il finira par m'offrir son secours.
Je vais rencontrer bientôt l'abbé Rancé, la gloire de la Trappe, celui qui assista mon père dans ses derniers moments. Espérons...
Ce matin, il pleut. La tempête s'est apaisée. Le vent qui soufflait depuis trois jours s'est tu. J'aperçois par mafenêtre les vagues s'écraser mollement sur le rivage. Elles meurent silencieuses, comme étouffées. La mer est plate, grise et triste, sans vie.
23
Extrait des mémoires secrets d'un jeune homme de dix-neuf ans, Louis, duc de Saint-Simon.
Le 5 avril 1693, il y a un peu plus d'une année, Anne-Louise d'Orléans, duchesse de Montpensier et autres lieux, ordinairement appelée Mademoiselle, fille aînée de Gaston d'Orléans et seule de son premier mariage avec Marie de Bourbon, reconnue pour la plus riche princesse de l'Europe, mourut chez elle, dans son palais du Luxembourg, après une longue maladie de rétention d'urine. Elle avait passé les soixante ans.
Sous prétexte de reconnaissance pour les donations qu'elle lui avait faites, le roi, du vivant de la princesse, avait fait prendre à son bâtard bien-aimé, du Maine, les armes de Mademoiselle et la livrée de la maison d'Orléans, rouge avec veste et culottes bleues. Elle en souffrit. Cet héritier forcé ne lui était pas agréable.
Puisqu'elle mourait sans enfants, ses biens devaient normalement aller à Philippe d'Orléans, son cousin. Ilreçut en effet le duché de Montpensier. Mais les plus gros morceaux lui échappèrent. Le bâtard du Maine avait déjà reçu en donation ou vente fictive le comté d'Eu, le duché d'Aumale, la principauté des Dombes et bien d'autres terres. Pour le petit Lauzun il garda Saint-Fargeau et la baronnie de Thiers.
Avant la pompe funèbre, le corps de Mademoiselle fut gardé dans son palais du 7 au 14 avril, alternativement toutes les deux heures, par les plus nobles dames du royaume, vêtues de leurs mantes traînant à terre, couvertes du crêpe noir le plus épais, comme il sied aux funérailles des duchesses. Elles étaient averties de leur tour de garde par le grand maître des cérémonies, et jusqu'à la comtesse de Soissons, qui ne voulait pas s'y rendre mais qui finit par se soumettre à la colère et aux menaces du roi, toutes y furent.
Les feuillants, dont le couvent était voisin du Luxembourg, psalmodiaient sans relâche. Dans la chambre funèbre, les hérauts d'armes, les évêques en rochet et camail ne se comptaient plus.
Au beau milieu de cette pompe admirable voulue par le monarque, il arriva une aventure fort ridicule. Les entrailles, mal embaumées, fracassèrent l'urne qui les contenait. Celle-ci tomba de la crédence, où elle reposait, avec un bruit assourdissant et en provoquant une puanteur intolérable.
Les dames se bouchaient le nez, se pâmaient ou tentaient de s'enfuir dans le jardin du Luxembourg. Les feuillants s'étouffaient et ne pouvaient plus chanter, les hérauts d'armes et les religieux étaient bloqués par la foule des curieux massés aux portes pour profiter de la cérémonie. La confusion fut extrême.
Bientôt, grâce à la diligence des valets, tout fut rétabliet parfumé, les entrailles déposées aux Célestins, le cœur au Val-de-Grâce, et le corps conduit à Saint-Denis.
Même à la mort, Mlle de Montpensier ne voulut pas revoir M. de Lauzun. Quelques jours après, le vaniteux gentilhomme eut l'audace de se présenter à Versailles en grand manteau de deuil. Il prétextait avoir contracté avec la princesse un mariage secret et venait chercher les condoléances de la cour.
Les amis de la princesse s'en indignèrent. Quoi ? Cet animal si méchant et ingrat envers elle, venir se faire consoler !
Quant à Louis XIV, il trouva la démarche des plus malséantes. Il affecta d'être très mécontent de l'attitude de M. de Lauzun envers sa cousine, et lui ferma sa porte.
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