Mademoiselle
lui était pas inconnue, son odeur non plus...
Elle passa dans la garde-robe, où Bontemps la fit patienter quelques instants encore. Quand enfin elle pénétra dans la chambre de Louis, il était seul, ému, triste :
— Je suis au désespoir de ce que j'ai à vous dire. Je ne peux souffrir que votre mariage s'achève. On croirait que je veux vous sacrifier pour faire la fortune de mon favori, M. de Lauzun. Battez-moi, si vous voulez. Il n'y a emportement que je ne souffre, ni ne mérite.
— Ah, Sire, que me dites-vous ? L'étrange prétexte ! Et quelle cruauté ! Il vaudrait mieux me tuer... J'aurais pu abandonner mon projet si Votre Majesté me l'eût défendu. Mais rompre une affaire au point où elle est arrivée, c'est atroce.
Elle pleurait, s'agitait. Il voulut l'immobiliser en la tenant serrée contre lui et en mettant sa joue contre la sienne.
— Laissez-moi, mon cousin. Vous faites comme les singes qui étouffent leurs enfants en les embrassant.
Elle se débattit.
— Et Lauzun ? Où est-il ?
— Rassurez-vous, on ne lui fera pas de mal. Aussi, pourquoi ne vous êtes-vous pas hâtée ? continua Louis, désarçonné par cette grande douleur qu'il n'avait pas prévue. Pourquoi m'avoir laissé le temps de réfléchir ?
— Hélas, qui se méfierait de Votre Majesté ? Vous n'avez jamais manqué de parole à personne. Comment imaginer que vous commenceriez par moi !
Elle s'enflamma, versant des torrents de larmes :
— Je n'avais jamais aimé aucun homme de ma vie, jamais. Maintenant j'aime, j'aime passionnément, et de bonne foi, le plus honnête homme de votre royaume. Jefaisais de son élévation la joie de ma vie. Vous me l'ôtez. Vous me l'arrachez. Vous m'arrachez le cœur.
Elle hoquetait. Soudain, elle entendit tousser derrière la porte qui donnait chez la reine. En un éclair, elle comprit qui était dissimulé là.
— Que c'est mal à vous, Sire, de me briser pour complaire à M. le prince de Condé ! Il est là, je le devine. Il est donc entré dans la cabale de la maison de Lorraine ? Mon Dieu, je n'aurais jamais cru que, après ce qu'il me doit, il voulût être le spectateur caché d'une scène aussi cruelle pour moi.
— Laissez le prince de Condé. Il n'est pas seul à se choquer de votre mésalliance. De tous côtés, on m'en rebat les oreilles, et les rois doivent rendre justice aux souhaits du public. Écoutez, ma cousine, l'obéissance que j'exige de vous en cette occasion me rend incapable à l'avenir de vous refuser quoi que ce scit.
— Sire, vous vous moquez. Je n'ai plus d'avenir. C'est Lauzun que je vous demande. Et vous me le refusez !
22
J'écris ma vie
« Je jetai les hauts cris... M. de Lauzun jamais ne sortira de mon cœur, il est le seul qui puisse l'occuper... Le souffle me manque ! Ah, quelle cruauté vous avez eue, mon cousin ! »
Quand je relis présentement les pages que j'ai écrites après l'affreuse nuit de décembre, je suis atterrée de voir l'état déplorable dans lequel je demeurai si longtemps. Les phrases sont hachées, le récit sans suite, les mots à peine distinctement tracés. Mais ces lignes informes ont un mérite. Elles m'ont préservée de la folie. L'écriture m'a sortie de l'anéantissement où la violence de mon chagrin me plongeait.
Me voici à nouveau à mon écritoire.
Treize ans ont passé.
Je croyais, dans mon incorrigible naïveté, que plus rien ne pouvait m'arriver après la rupture de mon mariage.Je me trompais. Je puis mesurer aujourd'hui la violence des coups qui me furent infligés de toutes parts.
Comment imaginer les rebuffades de Lauzun, les rares fois ensuite où je le rencontrai à la cour ? Dès que je l'apercevais, je fondais en pleurs. Lui me jugeait responsable de l'échec de notre projet et m'en tenait rigueur. Il me critiquait en tout :
— Ajustez-vous donc, Mademoiselle. À votre âge, l'on ne saurait paraître à la cour en négligé, me lança-t-il un jour de carnaval où j'étais venue en simple manteau noir.
— Hélas, vous le savez, je ne m'ajustais que pour plaire à un certain petit homme.
Il devenait fou à me voir pleurer :
— Continuez ainsi et vous ne me verrez plus. Je ne me trouverai jamais où vous serez.
Il ne me restait que l'opéra comme refuge, le seul lieu public où, quatre heures durant, je pouvais pleurer à mon aise, cachant mon visage dans la pénombre de la loge de Marie-Thérèse. Je me souviens de cet hiver-là, de Cadmus et Hermione, un opéra
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