Mademoiselle
1
Le petit mari
La fillette bouillait d'impatience. À la porte de la chambre royale du château de Saint-Germain-en-Laye, elle se débattait et tentait de s'arracher aux mains de ses domestiques. Quel besoin de vérifier encore et encore l'ordonnance de ses boucles blondes et les plis de sa robe de taffetas bleu !
En cet après-midi de septembre 1638, la reine de France, sa tante, l'avait fait appeler. Enfin ! Sa tante qu'elle aimait si fort et que la naissance de son fils, le dauphin, l'avait empêchée de voir depuis plusieurs jours. Vite, vite, elle n'y tenait plus.
Sans attendre sa gouvernante, Mme de Saint-Georges, Anne-Louise d'Orléans ouvrit la porte et se précipita vers le lit de repos de l'accouchée en criant : « Petite maman, petite maman ! » Le bonheur à nouveau. À nouveau la voix tendre, la douceur du sourire, les belles mains fines sur satête — ces mains admirées de tous —, l'odeur du linge propre et les caresses.
— Petite maman, murmurait maintenant la fillette en se blottissant contre la souveraine et en répondant à ses baisers. Petite maman.
À vrai dire, c'était la seule maman, c'était même la seule femme de sa famille qu'elle connût.
Sa mère, la très riche Marie de Bourbon-Montpensier, était morte à sa naissance, faisant d'Anne-Louise l'héritière la plus fortunée d'Europe.
De sa grand-mère maternelle, veuve et remariée à un Lorrain dont elle avait eu dix enfants, la petite disait : « Elle est ma grand'maman de loin. » Elle avait raison, le duché de Lorraine était une terre étrangère au royaume de France.
Quant à son aïeule paternelle, Marie de Médicis, la veuve d'Henri IV, mieux valait n'en pas parler. Anne-Louise avait trois ans, quand cette bonne mère-grand, convaincue de complot, se brouilla avec son fils le roi Louis XIII, et fut exilée de Compiègne aux Pays-Bas puis en Angleterre, entraînant dans sa disgrâce son fils cadet Gaston d'Orléans, le père de la fillette.
Il avait bien trois sœurs, ce père, mais elles vivaient dans leurs royaumes lointains d'Angleterre, d'Espagne ou de Savoie. Que pouvaient-elles pour l'orpheline ?
Restait donc la tante par alliance, la reine de France, l'épouse de Louis XIII, Anne d'Autriche. Sa bonté naturelle s'était émue de la solitude de sa nièce. Plus encore, mariée depuis douze ans et toujours sans enfant, cette femme avait vu le bébé arriver comme une bénédiction.
Elle lui ménageait des distractions continuelles, l'invitait aux fêtes de la cour, non sans veiller au fil des années sur son éducation. Grâce à elle, Anne-Louise suivait les offices religieux avec les souverains, apprenait à lire et àécrire — chose appréciable pour les filles —, à danser, à monter à cheval et se trouvait à la tête d'un nombre imposant d'amies, des jeunes filles du grand monde chargées de la faire jouer.
L'enfant était logée aux Tuileries, près du Louvre et de la reine. Quand celle-ci suivait son époux à Fontainebleau, elle l'y faisait venir. À la fin de l'hiver précédent, elle l'avait emmenée avec elle à Saint-Germain-en-Laye, où elle s'était retirée pour les derniers mois de sa grossesse.
Un enchantement. Anne-Louise voyait sa tante à tout instant. Souvent aussi, avec plusieurs suivantes privilégiées — les filles de la reine —, Anne-Louise accompagnait le roi son oncle à la chasse, vêtue d'habits de couleurs vives, protégée du soleil par des chapeaux garnis de quantité de plumes, et rentrait au château, joyeuse, dans le carrosse royal.
Elle se dépêchait de courir chez sa « petite maman ». Les filles lui portaient les plats de son souper et l'enfant s'amusait à la servir. Trois fois par semaine, les musiciens leur chantaient des airs que le roi avait composés et dont les paroles, de sa composition également, vantaient les charmes de... sa maîtresse, Mme d'Hautefort.
Maintenant que la reine était accouchée, la douce vie allait reprendre.
Onze ans déjà que cette petite est près de moi, se disait Anne d'Autriche. Onze ans qu'elle remplit mon cœur de joie, qu'elle me fait oublier les travers de mon époux, son indifférence à mon égard et le vide de ma vie.
Elle s'attendrissait quand un cri tout à coup s'éleva, impatient, impérieux.
— Voyez donc le dauphin, ma mie, dit doucement la souveraine à sa nièce. Il ne se laisse pas oublier.
Elle se tourna vers le berceau et la joie une fois de plus l'envahit.
Il était là, son fils si
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