Marco Polo
votre route vous avait
conduits droit entre les mains de mon cousin Kaidu et qu’il avait refermé ses
serres sur vous quelque temps.
— Cela n’a pas duré bien longtemps, Sire,
expliqua mon père en faisant un signe dans ma direction. Marco, là-bas, nous a
aidés de la façon la plus ingénieuse à nous débarrasser de lui, mais nous vous
raconterons cela une prochaine fois. Kaidu avait l’intention de piller les
cadeaux que nous vous avons apportés de la part de vos seigneurs liges, le shah
de Perse et le sultan de l’Inde aryenne... Sans l’intervention de Marco, votre
cousin aurait tout confisqué.
Le khakhan hocha une nouvelle fois la tête dans ma
direction, brièvement toutefois, avant de se retourner vers mon père et mon
oncle.
— Kaidu ne vous a rien pris, uu ?
— Rien, Sire. Dès que vous en donnerez l’ordre,
nous ferons apporter et étaler devant vous une fortune en or, en joyaux et en
parures...
— Vakh ! coupa
le khakhan. Au diable ces babioles. Qu’en est-il des cartes, uu ? En
dehors de ces misérables prêtres, vous m’aviez promis de revenir avec des
cartes. Les avez-vous dessinées, uu ? Kaidu vous les a-t-il
dérobées, uu ? J’aurais gaiement accepté qu’il vole tout, sauf
ça !
J’étais, on pourra le comprendre, déconcerté par ces
changements de sujet si fréquents et rapides, en cours de conversation. Non
seulement le khakhan n’était pas du tout en train de nous châtier, mais il nous
interrogeait, et sur un sujet auquel je ne m’attendais pas de sa part. Il y
avait déjà largement de quoi s’étrangler de surprise à entendre un homme
s’exclamer « Vakh ! » face à des babioles qui auraient permis
d’acheter n’importe quel duché en Europe. Mais ce qui m’estomaquait, c’était de
constater que mon père et mon oncle avaient, tout ce temps, collaboré à un
projet bien plus secret et plus important que la simple obtention de
missionnaires.
— Les cartes sont bel et bien là, Sire. Jamais il
n’est même passé par la tête de Kaidu de se préoccuper une seconde de ce genre
de chose. Matteo et moi avons compilé les meilleures cartes déjà établies des
régions occidentales et centrales du continent, particulièrement celles que
tenait l’ilkhan Kaidu.
— Bien... Très bien..., murmurait Kubilaï. Les
cartes dessinées par les Han sont insurpassables, mais elles se confinent à
leurs terres. Celles que nous leur avons confisquées ont grandement facilité la
conquête du pays de Kithai par les Mongols, et elles nous seront encore
précieuses quand nous marcherons contre les Song. Mais les Han ont toujours
superbement ignoré ce qui était situé hors de leurs frontières ; ces
endroits sont pour eux indignes de considération. Si vous avez bien travaillé,
alors, pour la première fois, je vais disposer de cartes de l’intégralité de la
route de la soie, jusqu’aux frontières les plus lointaines de mon empire.
Rayonnant de satisfaction, il balaya la salle du
regard et prit conscience de ma présence. Peut-être prit-il ma contenance
hébétée – je le regardais bouche bée – pour un air de conscience affligée, car
il se mit à rayonner encore plus largement et précisa, s’adressant cette fois
directement à moi :
— J’ai déjà promis, jeune Polo, de ne jamais
utiliser ces cartes au cours d’une campagne des Mongols contre le territoire ou
les possessions du doge de Venise.
Puis, se retournant vers mon père et mon oncle :
— Je m’arrangerai pour nous réserver une
prochaine audience privée, que nous nous asseyions autour d’une table pour
étudier ces cartes ensemble. Dans cette optique, une chambre particulière et
une équipe de domestiques vous ont été réservées à chacun dans la résidence
principale du palais, à proximité immédiate de mes appartements.
Il ajouta, après réflexion :
— Votre neveu pourra résider dans l’une ou
l’autre de ces suites, à votre convenance.
Chose curieuse, en dépit de l’acuité de Kubilaï dans
tous les autres domaines, de sa connaissance de l’humain et de son expérience,
jamais, durant les années que nous devions passer ensemble, il ne prit la peine
de se souvenir de qui j’étais le fils et de qui j’étais le neveu.
— Pour ce soir, poursuivit-il, j’ai prévu un
banquet de bienvenue, au cours duquel vous rencontrerez deux autres visiteurs
fraîchement arrivés de l’Ouest, et nous aborderons tous ensemble la question
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