Marco Polo
de
l’insubordination de mon cousin Kaidu. À présent, Lin-ngan vous attend dehors
pour vous escorter vers vos nouveaux quartiers.
Nous esquissâmes tous un ko-tou, et de nouveau,
comme il le ferait toujours, il nous fit relever sans nous laisser nous
incliner très bas, ajoutant simplement, avant que nous prenions congé de
lui :
— À ce soir, amis Polo.
2
Comme je l’ai dit, ce fut la première fois que je me
rendis compte que mon père et mon oncle, à travers leur collationnement assidu
des données cartographiques, avaient travaillé au moins en partie pour le khan
Kubilaï, et c’est ici pour la première fois que je le révèle. Je ne l’avais pas
mentionné dans le précédent compte rendu de mes voyages et des leurs, car à
cette époque mon père était encore vivant, et j’hésitais à provoquer
involontairement la moindre suspicion qu’il ait pu, ce faisant, servir
l’inimitié de la Horde mongole à l’encontre de notre Occident chrétien. Mais,
on l’a vu, les Mongols n’ont jamais tenté une nouvelle fois ni d’envahir, ni
même de menacer l’Ouest. Nos principaux ennemis, depuis de nombreuses années
maintenant, sont restés les Sarrasins musulmans, contre lesquels les Mongols
ont même été au contraire, à maintes reprises, nos alliés.
En attendant, conformément à ce que mes père et oncle
n’avaient cessé de promouvoir, Venise et le reste de l’Europe ont clairement
profité d’un enrichissement du commerce avec l’Orient, échanges largement
facilités par toutes les copies des cartes de la route de la soie que nous
avions, nous autres Polo, rapportées de là-bas. Je ne vois donc plus vraiment
l’intérêt de perpétuer la fiction absurde selon laquelle Nicolo et Matteo Polo
auraient traversé par deux fois l’étendue de l’Asie tout entière dans le simple
but d’y conduire un troupeau de prêtres. Pas plus que je n’ai cherché à nier
que moi, Marco Polo, j’étais aussi devenu un agent, voyageur et observateur,
ainsi qu’un cartographe au service du khan Kubilaï. Mais laissez-moi en venir
maintenant aux prémisses de cette collaboration, en vous contant sous quels
auspices et dans quelles circonstances j’ai pu réussir à entrer dans les bonnes
grâces du khakhan, au point qu’il m’a confié par la suite de telles missions.
La première fois que j’attirai son attention, ce fut
lors du banquet qu’il donna en l’honneur de notre arrivée. Et cependant, on va
le voir, il s’en était fallu de peu que le premier ordre que donna Kubilaï me
concernant fut de me confier aux bons soins du Caresseur, avec pour instruction
d’enserrer mon cou avec mon sphincter.
Le banquet avait été installé dans la plus grande
salle du bâtiment principal du palais, un hall qui, se vanta auprès de moi l’un
des invités, pouvait accueillir un total de six mille dîneurs à la fois. Le
haut plafond était soutenu par des piliers qui semblaient en or massif,
tourmentés de mille circonvolutions incrustées de pierres précieuses et de
jade. Les murs étaient faits de panneaux de bois richement sculptés et de cuir
repoussé aux motifs d’une rare finesse, tendus en certains endroits de qali persans
et de rouleaux peints à la mode han, ornés dans tous les espaces restants d’un
assortiment de trophées de chasse mongols. Ceux-ci incluaient des têtes de lion
rugissant, de léopard tacheté et d’artak aux longues cornes (ou « moutons
de Marco »), ainsi que de grosses créatures ressemblant vaguement à des
ours appelés da-mao-xiong, dont la tête était d’un saisissant blanc de
neige, hormis les oreilles, toutes noires, ainsi que les yeux.
Ces trophées provenaient vraisemblablement des chasses
personnelles du khakhan, car l’amour qu’il vouait à cette activité était de
notoriété publique. Il passait chacune de ses journées libres à traquer le
gibier dans la forêt ou à travers champs. Même ici, dans cette salle de
banquet, son amour pour le plus viril des sports était évident, car les invités
assis le plus près de lui n’étaient autres que ses meilleurs compagnons de chasse.
Sur chacun des bras de sa chaise en forme de trône était perché un faucon
chasseur encapuchonné, et aux pieds de devant était attaché un chat de traque
appelé chita. Cet animal s’apparente au léopard tacheté, mais il est
plus petit et a les pattes proportionnellement plus longues. Il diffère de
beaucoup d’autres félins par le fait qu’il est
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