Marie Leszczynska
interrompra les séjours à Compiègne jusqu’en 1748. Cette année-là, Marie reprend ses habitudes au Carmel, le plus souvent pour « les après-dîner » quand elle n’y passe pas la journée entière. Accompagnée d’une petite suite, deux ou trois dames dont Madame de Villars ou Madame de Luynes, elle partage la vie du couvent, assiste aux offices et passe les récréations avec les carmélites à filer pour elles, voire même à danser. Parallèlement, la reine fait préparer le repas des soeurs par son maître d’hôtel, dans le plus grand respect de la règle d’abstinence. Mais la souveraine ne se rend pas compte qu’en faisant venir les plats du château, elle bouleverse les horaires stricts des carmélites. On raconte aussi qu’ayant installé un lit dans son petit appartement, on l’a surprise un soir, enfouie sous la couverture. Malgré ses supplications, la reine est contrainte de regagner le château, sermonnée par la prieure : « Songez, Madame, que plus vous vous éloignez du roi, et plus son coeur sera excité à s’éloigner de vous. »
La paix et l’oubli de tous les maux
À l’occasion de ses visites, Marie se lie avec la mère Thérèse de la Résurrection [12] , prieure du couvent depuis 1748. Elles sont en communion spirituelle au point d’échanger une correspondance régulière, sur le ton de la plus grande confiance : « Vous m’avez oubliée, ma chère mère, il y a un siècle que je n’ai reçu de vos nouvelles : répétez souvent vos lettres, elles sont une consolation pour moi, dans l’impuissance où je suis de vous voir. » En 1762, alors que la guerre de Sept Ans s’essouffle, Marie répond à la prieure : « Sans la paix, point de Compiègne ; et malheureusement ce qu’on vous en a dit n’est point vrai. S’il y avait la moindre apparence de voyage, je serais diligente à vous l’apprendre ; vous ne sauriez croire le désir que j’en ai [13] . »
Cette fascination de la reine pour le Carmel est ancienne. Jeune mariée, elle a reçu du cardinal de Rohan un petit portrait de sainte Thérèse renfermant du bois de la Vraie Croix. Depuis, elle n’a cessé de s’intéresser aux oeuvres de la sainte, au point de faire lire à son entourage la lettre d’une religieuse espagnole relatant l’ouverture de son caveau, en 1750. Et de poser mille questions à l’épouse d’un gentilhomme du roi de Sardaigne sur une carmélite de Turin morte en odeur de sainteté. Pour les carmélites de Compiègne, elle peint même un grand tableau représentant la Transverbération de sainte Thérèse [14] et une Thérèse enfant dans son jardin , ainsi qu’une série de petits portraits de saints et de saintes [15] .
Marie aspire à la paix et c’est au Carmel qu’elle la trouve : « Le désir de votre clôture m’étouffe bien plus que ne ferait votre clôture même [16] . » Mais se livre-t-elle réellement à l’ascèse et à la mortification, comme l’écrit son hagiographe l’abbé Proyart qui en fait une reine sainte ? Lorsqu’elle y est, elle ne parle plus de ses maux ni de ses peines, elle est heureuse et ne s’en cache pas. Les « chères Carmélites de Compiègne » reviennent régulièrement dans sa correspondance avec son père et avec le président Hénault
. Parfois Stanislas ironise : « Vous avez donc fait baiser à vos chères Carmélites mon portrait ; que ne me suis-je trouvé en original pour profiter de cette faveur ? Pour y répondre, puis-je prendre la liberté de vous prier de les baiser de ma part comme autant de reliques [17] ? »
En réalité, le vieux roi a compris que l’inclination de sa fille est très sérieuse. En septembre 1765, après le dernier séjour de Marie auprès de lui, à Commercy, Stanislas évoquera souvent Compiègne dans ses lettres. Les phrases sibyllines ne permettent pas de percer le secret de leurs conversations. Pourtant, le roi de Pologne se réjouit des liens qui unissent sa fille aux carmélites, comme s’il était rassuré sur l’avenir de Marie. La reine envisageait-elle alors de se retirer au Carmel de Compiègne après la mort de son père ? Peut-être y a-t-elle songé, mais le destin en a décidé autrement.
La gloire de saint Jean Népomucène
En marge de leur conscience religieuse, Marie Leszczyńska et son père ont une obsession, un parent qu’ils vénèrent : saint Jean Népomucène
. Ce martyr du secret de la confession, mort à Prague en 1393 et canonisé par
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