Marie Leszczynska
lui : « On me dit les choses les plus belles du monde, mais personne ne me dit que vous soyez près de moi. […] Je subis à chaque instant des métamorphoses plus brillantes les unes que les autres ; tantôt je suis plus belle que les Grâces, tantôt je suis de la famille des neuf Soeurs ; hier, j’étais la merveille du monde ; aujourd’hui, je suis l’astre aux bénignes influences. Chacun fait de son mieux pour me diviniser, et sans doute que demain je serai placée au-dessus des Immortels. Pour faire cesser ce prestige, je me mets la main sur la tête, et aussitôt je retrouve celle que vous aimez et qui vous aime bien tendrement. »
Sans oser en parler, Marie s’inquiète aussi du sort réservé à ses parents. Elle sait que le duc de Bourbon envisage de les renvoyer à Wissembourg. Heureusement, Fleury s’y oppose, estimant que le beau-père du roi de France doit recevoir une résidence décente. Louis XV se range à l’avis de son mentor et donne mission au directeur général des Bâtiments du roi, le duc d’Antin, d’établir une liste de châteaux susceptibles d’accueillir le roi de Pologne et sa petite cour. Stanislas choisit Chambord, dans le Val de Loire, réputé pour ses forêts giboyeuses. Et, le 22 septembre, il se met en route selon un itinéraire bien défini qui passe par Fontainebleau.
Marie s’empresse de griffonner un billet à son père : « Mon âme est en paix, je trouve ici un contentement dont je n’osais me flatter, même sur votre parole. Je n’ai de peine que celle de ne pas vous voir, mon chérissime papa, et s’il plaît à Dieu, elle ne durera pas longtemps. On a déjà décidé, dans le Conseil, le cérémonial de votre réception. Sur quelques difficultés que l’on faisait à ce sujet, le roi a dit : “Ce que je ne lui dois pas comme roi, je le lui dois comme gendre.” Jugez, cher papa, combien ce propos m’a fait de plaisir ; et ce n’est pas le roi qui me l’a rendu [4] . On ne respire ici que pour mon bonheur. »
Le 14 octobre, Stanislas et Catherine Opalinska font étape au château de Bourron, à deux lieues de Fontainebleau. Le lendemain, la rencontre avec Louis XV est courtoise mais sans chaleur, selon les témoins de l’époque. Qu’importe, Stanislas est heureux d’avoir pu embrasser sa chère Marie. Ayant vu sa fille entourée de prévenances par le roi et la cour, il poursuit sa route vers la Touraine dans la sérénité, après avoir adressé un billet triomphant au maréchal du Bourg : « L’amitié du roi pour la reine augmente notablement, et se réduit à une grande confiance qu’il a pour elle. On est toujours, Dieu merci, content de sa conduite. Il n’y a rien à désirer que le dauphin ! »
1 -
Sa grand-mère, Anna Jablonowska, dite « Madame Royale ».
2 -
Sous-officier de cavalerie exempt du service ordinaire.
3 -
Les Français vus par eux-mêmes, Anthologie des mémorialistes du xviii e siècle présentée par Arnaud de Maurepas et Florant Brayard, p. 1068.
4 -
Rendu : livré, révélé. En usage à partir du xvi e siècle.
V
VERSAILLES TEND SES PIÈGES
À
presque seize ans, Louis XV sort tout juste de l’enfance, en dépit d’une évidente maturité. Élevé dans la plus grande rigueur religieuse, il ignorait tout de la gent féminine avant son mariage avec Marie. Il le soulignera beaucoup plus tard, en 1769, dans une lettre de recommandations à son petit-fils l’infant de Parme, à l’occasion de son mariage avec l’archiduchesse Marie-Amélie : « L’on n’en avait pas usé de même avec moi pour l’instruction du mariage. » Moins innocente à vingt-deux ans, la princesse chargée de lui révéler les secrets de la femme n’était guère mieux lotie car toute aussi prude. Mais elle est tombée en adoration devant cet adolescent beau comme un dieu. En quelques jours, elle a accepté sa froideur et sa timidité quasi maladive, deviné sa difficulté à s’ouvrir aux autres et compris sa peine à accepter le changement. Pour lui, elle va s’efforcer de devenir à la fois l’amante, la servante et la grande soeur.
D’emblée, Louis XV y trouve son compte, car cette épouse plus mûre remplace un peu sa mère, la grande absente de sa vie ; il admire sa piété et se rassure en la découvrant presque aussi timide que lui. Marie n’a pas la morgue d’une infante ou d’une archiduchesse élevée pour le trône et sa modestie craintive émeut le roi dès leurs premiers
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