Marie Leszczynska
jours de vie commune. Enfin, tous deux n’oublient pas que la seule raison de leur union est d’assurer la pérennité de la dynastie. Bref, tout semble aller pour le mieux dans le couple royal à l’heure de conclure le séjour d’automne à Fontainebleau.
Le 1 er décembre 1725, le froid est vif et la nuit tombée depuis longtemps quand le cortège fait son entrée à Versailles. Mais toute la cour est rassemblée pour apercevoir Marie Leszczyńska et guetter ses réactions. Un moment exceptionnel et inédit pour plusieurs générations, puisque le dernier accueil d’une reine de France remontait à quarante-trois ans, quand Marie-Thérèse et Louis XIV prirent possession du château ! Barbier ne pouvait manquer l’événement : « La reine monta par l’escalier des Ambassadeurs [1] , qui était illuminé et éclairé avec magnificence, aussi bien que toute l’enfilade des appartements et de la galerie jusqu’à l’appartement de la reine. On peut juger de l’effet que cela faisait. »
Impressionnée par les lieux, la jeune reine prend aussitôt la direction de ses appartements. Installée dans la grande chambre du premier étage qui donne sur le parterre Sud, où la duchesse de Bourgogne accoucha de Louis XV et qui fut celle de Marie-Thérèse
, Marie songe aux conseils de son père. Stanislas a raison sur bien des points et ses recommandations sont pleines de sagesse. Mais si le roi de Pologne plaide avec brio pour la noblesse des sentiments chrétiens, sa perception de la cour est dépassée. Il est resté à sa vision de la France de Louis XIV, ignorant l’influence jouée par la Régence sur les moeurs de l’époque.
Les usages et l’étiquette
Pour l’heure, Marie doit conquérir le respect des courtisans enclins aux critiques malveillantes. Car elle demeure une créature de la maîtresse de Monsieur le Duc. Barbier se fait l’écho de l’opinion : « Il [le roi] couche tous les jours avec elle, mais cette princesse est obsédée par Madame de Prie. Il ne lui est libre ni de parler à qui elle veut, ni d’écrire. Madame de Prie entre à tous moments dans ses appartements pourvoir ce qu’elle fait, et elle n’est maîtresse d’aucune grâce. » Dans ses Mémoires , le marquis d’Argenson, qui décoche des flèches empoisonnées à tout bout de champ, ironise méchamment : « Ce fut elle qui fit la reine, comme je ferai demain mon laquais valet de chambre. C’est pitié que cela. » René-Louis d’Argenson n’aime pas Marie Leszczyńska ; pourtant, cette petite phrase perfide prend un autre sens lorsque l’on sait qu’il s’est ridiculisé en succombant aux avances de Madame de Prie.
La rouée marquise est assidue auprès de la reine. Elle l’entoure de prévenances, se rend indispensable, devient chaque jour plus hardie au point de la rappeler à l’ordre ; et si la reine n’acquiesce pas à ses désirs, elle la menace, lui rappelant chaque fois la médiocrité de sa condition. Un matin, Marie trouve sur sa table quelques vers assassins :
« Le renvoi de l’infante est la preuve certaine
Qu’à rompre votre hymen on aura peu de peine ;
Et nous aurons alors de meilleures raisons
Pour vous faire revoir vos choux et vos dindons [2] . »
C’est la première fois depuis son arrivée en France que Marie pleure. Elle devrait appliquer les conseils du roi Stanislas en se confiant au roi. Mais elle n’ose pas ! Prisonnière de sa propre timidité, elle se sent incapable de vaincre celle du roi.
Marie Leszczyńska prend donc le parti d’afficher une sérénité à toute épreuve, de se plier aux usages et d’apprendre les subtilités de l’étiquette pour se mettre à l’abri des attaques et continuer de séduire le roi. Avant son arrivée à Versailles, elle a déjà eu un petit aperçu des règles que son époux applique machinalement depuis son enfance et dont il entend faire respecter les principes instaurés par son bisaïeul.
En quelques jours, Marie découvre la mécanique de la cour, orchestrée autour de sept grands services : la Chapelle, la Maison civile, la Chambre, les Bâtiments, la Maison militaire avec la Prévôté de l’hôtel, l’Écurie et les Plaisirs. Ce qui représente une véritable petite ville sans cesse en mouvement. Elle apprend que, pour une même charge, il faut quatre titulaires qui n’exercent leur service que pendant un « quartier » de l’année [3] ; et que bien des emplois se transmettent de
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