Marie
D’une voix sans
timbre elle énonça :
— Au
moins, il faudrait apprendre où ils le conduisent.
— À
Sepphoris, dit un voisin. Sûrement à Sepphoris.
— Non !
protesta un autre. Ils n’emprisonnent plus personne à Sepphoris. Ils ont trop
peur des bandes de Barabbas, ces jeunes qu’ils ont poursuivis tout l’hiver sans
parvenir à les attraper. On raconte que, deux fois déjà, Barabbas a osé piller
des charrettes de percepteurs. Non, c’est à Tarichée qu’ils vont le conduire.
De là-bas, aucun prisonnier ne s’est jamais échappé.
— Ils
pourraient aussi l’emmener à Jérusalem, intervint un troisième. Le crucifier
devant le Temple pour dénoncer une fois de plus à ceux de Judée les barbares
que nous sommes, nous autres, de Galilée !
— Le
mieux, pour le savoir, c’est de les suivre, fit Lysanias en se levant de son
tabouret. J’y vais.
Des
objections s’élevèrent. Il était trop vieux, trop fatigué pour courir derrière
les mercenaires ! Lysanias insista, assurant qu’on ne se méfierait pas
d’un vieillard et qu’il était encore assez ingambe pour revenir vite à
Nazareth.
— Et
après ? demanda Hannah d’une voix retenue. Quand vous découvrirez où se
trouve mon époux, à quoi cela vous servira-t-il ? À aller le voir sur sa
croix ? Moi, je n’irai pas. Non, je n’irai pas voir Joachim se faire
dévorer par les oiseaux alors qu’il devrait être ici et prendre soin de
nous !
Quelques
voix protestèrent. Pas bien fort, car nul ne savait ce qu’il était désormais
bon ou mal de faire. Mais Lysanias gronda :
— Si
ce n’est moi, quelques autres doivent les suivre. Il faut que nous sachions où
ils l’emmènent.
On tint
conciliabule et, finalement, deux jeunes bergers furent désignés, qui partirent
aussitôt, évitant la route de Sepphoris et coupant à travers la forêt.
*
* *
La journée
n’apporta aucun réconfort. Au contraire, elle divisa Nazareth comme un vase qui
se brise.
La
synagogue ne désemplit pas. Hommes et femmes s’y retrouvèrent, plus fervents
qu’à l’ordinaire, bavardant après de longues prières et surtout attentifs aux
exhortations du rabbin.
Dieu avait
décidé du sort de Joachim, affirmait-il. On ne tue pas un homme, même un
mercenaire d’Hérode. Il faut accepter son chemin car seul le Tout-Puissant sait
et nous conduit jusqu’à la venue du Messie.
Il ne
fallait pas se montrer trop indulgent envers Joachim, assurait-il. Car son
acte, outre qu’il mettait sa vie en danger, désignait désormais le village de
Nazareth dans son entier à la vindicte de Rome et du sanhédrin. Ils seraient
nombreux à réclamer un châtiment. Et les mercenaires d’Hérode, des païens sans
foi ni loi, ne rêveraient que de vengeance.
Il fallait
s’attendre à des heures sombres, prévint le rabbin. Dès lors, accepter le
châtiment de Joachim était le plus sage, ainsi que prier longuement afin que
l’Éternel lui pardonne.
Ces
conseils achevèrent de jeter le trouble. Certains les trouvèrent emplis de bon
sens. D’autres se rappelèrent que, la veille de la venue des percepteurs, la rage
avait soufflé un vent de révolte sur eux. Joachim les avait pris au mot. À
présent, ils ne savaient plus s’ils devaient suivre son exemple et manifester,
eux aussi, le courage de leur colère. La plupart avaient l’âme désorientée par
les paroles entendues à la synagogue. Comment distinguer le bien du mal ?
En les
écoutant, Lysanias s’enflamma et déclara bien haut qu’il était content,
finalement, d’être un Samaritain plutôt qu’un Galiléen.
— Vous
êtes beaux à voir, jeta-t-il à ceux qui entouraient le rabbin, incapables que
vous êtes de porter dans votre cœur celui qui défend une vieille femme contre
les percepteurs.
Et,
assurant que désormais plus aucune règle ne l’en empêcherait, il alla
s’installer chez la vieille Houlda, qui souffrait d’un mal de hanche et ne
pouvait plus quitter sa couche.
Miryem
écouta et se tut. Elle admettait qu’il y avait une part de vérité dans les
paroles du rabbin. Pourtant, celles-ci étaient inacceptables. Non seulement
elles justifiaient toutes les souffrances que les mercenaires d’Hérode
pourraient infliger à son père, mais en outre elles acceptaient que le
Tout-Puissant ne fût pas juste avec les justes. Comment cela était-il
possible ?
*
* *
Avant le
crépuscule, les bergers revinrent, hors d’haleine. La colonne des charognards
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