Marie
et le courage s’effondrerait aussitôt qu’ils devraient
affronter la réalité.
Les
percepteurs ne venaient pas piller les villages sans l’aide des mercenaires
d’Hérode. Si devant les premiers on pouvait se présenter les mains vides,
devant les lances et les épées, la colère constituerait une faiblesse
supplémentaire. Elle ne servirait qu’à provoquer un massacre. Ou à palper un
peu plus son impuissance et son humiliation.
Des
enfants du voisinage s’arrêtèrent devant l’atelier, entourant Hannah, les yeux
brillants d’excitation.
— Ils
sont chez la vieille Houlda ! annoncèrent-ils. Lysanias se releva, la
bouche frémissante.
— Et
qu’est-ce qu’ils vont trouver chez Houlda ? Elle n’a rien de rien !
Chacun,
dans Nazareth, savait qu’Houlda était la bonne amie de Lysanias. N’eût été la
tradition, qui interdisait à ceux de Samarie d’épouser des femmes de Galilée,
et même de vivre sous le même toit qu’elles, ils seraient devenus mari et femme
depuis des lustres.
Joachim se
redressa, serrant soigneusement les pans de sa tunique dans sa ceinture.
— J’y
vais, reste ici avec Hannah, dit-il à Lysanias. Hannah et les enfants
s’écartèrent pour le laisser passer. A peine fut-il dehors que la voix claire
de Miryem le surprit.
— Je
vais avec toi, père.
Hannah
protesta aussitôt. Telle n’était pas la place d’une jeune fille. Joachim
faillit lui donner raison. La mine décidée de Miryem l’en dissuada. Sa fille
n’était pas comme les autres. Il y avait en elle quelque chose de plus fort et
de plus mûr. Du courage et de la rébellion, aussi.
En vérité,
sa présence le rendait toujours heureux, et cela se voyait tant qu’Hannah ne
manquait pas de se moquer de lui. Était-il de ces pères dévots de leur
fille ? Il se pouvait. Et si cela était, où serait le mal ?
Il sourit
à Miryem et lui fit signe de marcher à son côté.
*
* *
La maison
d’Houlda était l’une des premières lorsque l’on entrait dans Nazareth par la
route de Sepphoris. Déjà, la moitié des hommes du village s’y pressaient
lorsque Miryem et Joachim y parvinrent.
Une
vingtaine de mercenaires en tunique de cuir surveillaient les montures des
percepteurs et les charrettes attelées à des mules, un peu plus bas sur la
route. Joachim compta quatre charrettes. Les charognes du sanhédrin avaient vu
grand, s’ils espéraient les remplir.
Un autre
groupe de mercenaires, sous le regard d’un officier romain, formait le rang
devant la maison de la vieille Houlda. Le poing serré sur une lance ou sur la
poignée d’une épée, tous manifestaient la même indifférence.
Les
percepteurs, Joachim et Miryem ne les aperçurent pas sur-le-champ. Ils étaient
à l’intérieur de la minuscule maison.
Brusquement,
on entendit la voix d’Houlda. Une plainte éraillée qui stria l’air. Une courte
bousculade eut lieu sur le seuil de la maisonnette, et on les vit.
Ils
étaient trois. La bouche dure avec, dans les yeux, cette expression hautaine
que confère le pouvoir sur les choses et sur les êtres. Leurs tuniques noires balayaient
le sol. Noir aussi était le voile de lin enroulé sur leurs calottes et qui, sur
les côtés, ne laissait apparaître que les barbes sombres.
Joachim
serra les mâchoires à s’en faire mal. A leur simple vue, il bouillonnait de
fureur. De honte et de désir de meurtre. Que Dieu pardonne à tous ! Des
charognards, vraiment, pareils à ces corbeaux qui se nourrissaient des
suppliciés.
Devinant
ses pensées, Miryem chercha son poignet et le serra fort. Elle y mettait toute
sa tendresse, mais partageait trop la douleur de son père pour vraiment
l’apaiser.
À nouveau,
Houlda poussa un cri. Elle supplia, ses mains aux doigts tordus jetées en
avant. Son chignon se dénoua. Des mèches de cheveux blancs lui voilèrent à demi
le visage. Elle chercha à agripper la tunique d’un des percepteurs en
balbutiant :
— Vous
ne pouvez pas ! Vous ne pouvez pas !
L’homme se
dégagea. Il la repoussa en grimaçant de dégoût. Les deux autres vinrent à son
secours. Ils saisirent la vieille Houlda par les épaules sans aucun égard pour
son âge et sa faiblesse.
Ni Miryem
ni Joachim n’avaient encore compris la raison des cris d’Houlda. Puis l’un des
percepteurs s’avança. Chacun découvrit alors, entre les pans de sa tunique
corbeau, le chandelier qu’il serrait contre sa poitrine.
Un
chandelier de bronze, plus vieux qu’Houlda
Weitere Kostenlose Bücher