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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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    — C’est Perrot qui m’a envoyé demander à Tignous pourquoi il n’est pas venu aujourd’hui. En route, j’ai rencontré Pouriquète qui porte un paquet à son oncle Mingehort de la part de ses parents. J’ai pensé qu’il valait mieux l’accompagner.  
    — Les Dubernet l’ont envoyée seule à l’auberge de Poudiot ? Ce n’est pourtant pas un quartier qu’ils aiment fréquenter, sans parler des enfants ! Il faut croire que les temps changent !  
    Les temps changeaient en effet, et vite. L’espèce de cour des miracles qui se serrait autour des auberges, au pied du couvent des Carmes, était, depuis toujours, un territoire où les gens de bien ne se hasardaient pas. C’est là que vivaient, entassées dans deux ou trois venelles puantes, les familles des journaliers, des manouvriers, des brassiers et c’est là que les marins de passage trouvaient des maisons accueillantes. Il y éclatait souvent des rixes violentes. Une dizaine d’années plus tôt, un matelot d’Agen y avait même été assassiné.  
    Or, ce matin-là, Bernard et Pouriquète franchirent la limite interdite sans même s’en rendre compte. Ce monde souterrain qu’ils découvraient, bien qu’il ne fût éloigné de la Maison du Port que d’à peine cinq cents pas, sentait la crasse et la misère, mais il n’était pas hostile. Des enfants inconnus, hâves et loqueteux, qui jouaient dans la boue innommable du caniveau, leur firent signe de se joindre à eux. Une femme qui pendait des souquenilles à sécher sur un fil tendu dans l’étroit passage entre les façades leur sourit et leur cria avec un accent étrange :  
    — On se promène, les amoureux ?  
    Pouriquète pouffa et Hazembat rougit. Ce fut son cousin Guitoun qui le tira de sa confusion. Il sortait de l’auberge de Poudiot.  
    — Qu’est-ce que vous faites-là, les enfants ? Ah, je suppose que Pouriquète porte à Mingehort les cocardes qu’il attend ! Donne-moi le paquet, petiote, je vais le lui faire passer. Ils sont tous saouls là-dedans. Mingehort s’est inscrit à la garde bourgeoise pour faire marcher les affaires. Je parie qu’il va leur revendre les cocardes dix sols pièce ou peut-être quinze quand ils auront assez bu à la Nation !  
    Ils trouvèrent Tignous dans le bureau du passager du péage. Il était en train de coudre une couverture jaune sur un cahier de papier bleu. Bernard fit sa commission. Tignous le regarda, sourcils en l’air.  
    — Qu’est-ce qu’il croit, Perrot ? J’ai bien autre chose à faire que la menuise ! Je sers la Nation, moi ! Dis-lui que je me suis engagé dans l’armée patriotique. Je suis le caporal fourrier de la compagnie de M. Dervy !  
    — C’est quoi, un caporal fourrier ? demanda Bernard.  
    Le menton pointu de Tignous se rengorgea avantageusement.  
    — C’est une position de responsabilité, petiot. C’est le fourrier qui loge et nourrit le régiment. En plus, c’est lui qui tient l’état des effectifs. Tu vois ce cahier ? Je vais y inscrire les noms de tous les officiers et de tous les fusiliers et grenadiers de la compagnie. On m’a choisi justement parce que je sais écrire. Regardez…  
    Tignous étala le cahier sur son bureau, l’ouvrit à la première page qu’il lissa soigneusement du coude, puis choisit une plume dont il essaya le bec sur son ongle.  
    — Je l’ai taillée tout exprès.  
    Il trempa la plume dans l’encre et, d’une main ferme et souple, écrivit en haut de la page : Liste des Escouade de Patrouille. La boucle du L était haute et élégante.  
    — Voyez ce plein et ce délié ! Il faut la main pour les réussir comme ça !  
    Comme chaque fois qu’il voyait écrire, Bernard était fasciné par la course de la plume sur le papier. Il y avait des lettres qu’il reconnaissait, soit que Jantet les lui eût montrées, soit qu’il les eût identifiées lui-même, mais ce qui lui paraissait étrange, c’était que ces lettres fussent capables de parler. Elles parlaient apparemment toujours français. Les oreilles avaient quelquefois du mal à s’y faire, disaient ceux qui savaient écrire. Les noms propres, en particulier, posaient des problèmes. Que de fois Bernard avait entendu son père pester parce que le curé écrivait Hazembat avec un H et la Marine avec un A !  
    Tignous, habitué aux registres du péage, ne se posait guère de questions. D’une main de plus en plus cursive et de moins en moins soignée, il

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