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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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commençaient à pousser les hommes surexcités vers les rues qui conduisaient à la ville haute.  
    — C’est ça que Roudié avait derrière la tête, sacré nom ! s’écria Labat. Ces insensés vont lui donner un bon prétexte ! Comment les arrêter, maintenant ?  
    Perrot scrutait le ciel.  
    — Je ne sais pas si tu crois au bon Dieu, Hardit, mais il est avec toi. D’ici moins de cinq minutes, il va se charger de calmer tes énergumènes.  
    L’averse se déchaîna brutalement après un grand coup de tonnerre qui se répercuta d’une rive à l’autre du fleuve. L’eau tombait avec une telle violence qu’on avait du mal à prendre son souffle. La première, Hazembate courut jusqu’à la porte charretière de la Maison du Port. Torches, flambeaux, lampions noyés, il faisait nuit noire maintenant, mais les éclairs de plus en plus fréquents montraient des groupes épars qui s’enfuyaient vers les rares abris. Bernard s’était glissé sous la coque inclinée d’un courau. Dans l’obscurité, un homme lancé à toutes jambes vint buter contre le bordage de chêne, s’étala, se releva en jurant et disparut dans la rue de la Brèche, transformée en torrent. Comme Bernard, profitant d’une légère accalmie, s’apprêtait à bondir vers la porte charretière d’où sa mère l’appelait, il vit que l’homme avait laissé tomber son bonnet rouge dans la boue. Il le ramassa et le fourra sous sa chemise, puis fonça à travers l’averse.  
    Une vingtaine de personnes avaient cherché refuge au rez-de-chaussée de la Maison du Port. Hazembat contemplait le rideau de pluie.  
    — Le mauvais temps est établi jusqu’à la lune, dit-il. S’ils ont le même genre de temps dans le Haut Pays, le Tarn et le Lot vont apporter des eaux. D’ici dix jours, on pourra mettre à flot.  
    — A partir de demain, on s’occupe de l’accastillage, répondit Perrot.  
    Jantet arriva le dernier, plus trempé encore que Bernard.  
    — Allons tous nous sécher et boire la goudale ! cria Perrot.  
    Il fit signe à ses hôtes involontaires de le suivre. Le vin de la goudale dans la soupe brûlante et le grand feu de sarments dans la cheminée emplirent Bernard d’une torpeur bienfaisante. Il dormait à moitié quand il gagna le réduit où se trouvait sa paillasse. Alors seulement, quand il fut seul, il tira le bonnet rouge de sous sa chemise et l’examina longuement à la lueur du bout de chandelle qu’il avait apporté de la salle commune. Le feutre mince était encore imbibé d’eau et avait légèrement déteint sur le blanc de la cocarde. Son esprit remuait des pensées indistinctes où dominait le sentiment vague d’avoir vécu une des journées les plus importantes de sa vie. Il fourra le bonnet dans la paille entre les deux lés de toile, souffla la chandelle et s’endormit.  

CHAPITRE II :
LA MONTÉE DES EAUX
    Il y avait les petites eaux et les grandes eaux. Les premières, celles de l’équinoxe d’automne, étaient les plus favorables à la navigation. Il arrivait qu’on pût remonter de Bordeaux en cinq marées, quelquefois en quatre. Il suffisait de se laisser porter par le flot avec l’aide d’un peu de toile. Au-dessus de La Réole, la marée n’aidait plus, mais le courant était encore modéré à cette époque de l’année et les hommes de tire ne rechignaient pas à se mettre à l’eau dans la douceur de l’arrière-saison.  
    Les choses devenaient plus difficiles en hiver avec les tempêtes, parfois les glaces. Dans les méandres, les vents n’étaient pas favorables, surtout entre La Réole et Tonneins. Il fallait peiner à la rame, au picon, à la tire. Encore heureux si le chemin était praticable à un attelage de bœufs ou de chevaux. On se contentait de brèves étapes que raccourcissait encore la durée décroissante des jours.  
    A la mi-décembre, pour Sainte-Luce, les jours s’allongeaient d’un saut de puce. Sous la neige ou la pluie glacée, janvier était dur, février, avec ses eaux basses, plus dur encore. Avec l’équinoxe de printemps, arrivaient brutalement les grandes crues, parfois dévastatrices quand la montagne dégelait trop rapidement et que le Lot, le Tarn, la Garonne lançaient ensemble leurs eaux à la rencontre des fortes marées. A la descente, on ribait si vite que le courau était à la merci de la moindre erreur de navigation. A la remontée, le mascaret prenait en traître et allait faire chavirer les embarcations jusque

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