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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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batellerie, marins, ouvriers, brassiers confondus, ne sont guère plus de deux cents à Langon, mais c’est parmi eux qu’il y a le plus d’hommes possédant l’expérience des armes. C’est pourquoi beaucoup dépend de notre bonne volonté, de notre détermination et de notre union !  
    — Dis-moi, Hardit, demanda Arnaud Paynaud, ton armée patriotique, en admettant que tu arrives à lui trouver quelques fusils, comment s’en tirera-t-elle quand elle sera devant les canons de l’armée du Roi ?  
    — Comme ça ! répondit la voix profonde de Jude. Il tira de sa poche un objet rond qu’il éleva afin que tout le monde pût le voir. Les enfants passèrent la tête par l’entrebâillement de la porte pour mieux distinguer l’objet. Il était composé de trois ronds d’étoffe : un petit bleu au centre, un blanc plus grand et un rouge plus grand encore.  
    — Quand les soldats des gardes françaises et les citoyens de la garde nationale de Paris se sont rencontrés, ils ont mêlé leurs couleurs : le blanc du Roi avec le bleu et le rouge de Paris. Désormais, c’est la cocarde nationale. Tout le monde la porte déjà à Bordeaux !  
    Jude se leva pesamment et alla épingler la cocarde à la coiffe rouge de Capulet.  
    — A ce qu’on m’a dit, certains des émeutiers de Paris portaient des bonnets rouges comme le tien, Capulet. Maintenant, tu es un vrai sans-culotte, comme ils disent !  
    —  Shens culotal s’écria Capulet. E m’vôs qu’ani lo cul a l’aire ?  
    Un rire général termina la réunion.  
    Ce soir-là, en rentrant, Capulet réveilla sa femme Poudiote et, à la lueur de la chandelle, il tira des pièces de drap d’une de ses armoires.  
    — Tiens, dit-il en coupant un modèle de cocarde, tu vas mettre les couturières au travail. Il m’en faut six grosses pour demain soir.  
    Il ôta son bonnet, révélant la cicatrice profonde qui traversait son crâne chauve.  
    — Et puis tu prendras le patron de mon capulet. Il m’en faut deux grosses pour mardi. Tu diras aux regratières que je leur en donnerai à vendre.  
    Le menton dans la main, il fit un rapide calcul.  
    — La cocarde se vendra bien cinq sols et le bonnet une livre. Tu pourras dire aux regratières que je leur céderai la douzaine de cocardes à cinquante sols et celle de bonnets à dix livres.  
    Dès le lundi matin, Langon avait changé. C’étaient toujours les mêmes maisons, les mêmes gens, mais ce n’était plus la même ville. Il régnait partout une sorte de fièvre, à la fois joyeuse et inquiète, comme si les rues chantaient en sourdine pour se donner du cœur.  
    Les femmes surtout, qui lavaient leur linge au quai des Carmes, paraissaient surexcitées. On avait vu la nouvelle cocarde et on la trouvait seyante, mais comment la fixer sur la traditionnelle côha, foulard noir le plus souvent, bleu sombre quelquefois, qu’on nouait serré sur le chignon ? Ne pourrait-on remplacer le foulard sombre, disaient les femmes, par quelqu’une de ces dentelles ou même de ces broderies qu’elles étaient expertes à faire, mais que l’usage et la loi réservaient à la noblesse ?  
    En tordant son linge, Hazembate riait de les entendre. Pour elle, la question ne se posait pas. Elle se savait laide et se contentait, disait-elle, de la beauté du cœur. Depuis la mort de sa mère, elle avait toujours porté la côha noire et la porterait toujours. Il y avait tant de morts, tant de deuils dans une vie ! Hazembate savait qu’elle aurait de la chance si elle ne se retrouvait pas seule dans une quinzaine d’années. Peut-être serait-elle déjà morte elle-même. De tout son cœur, elle souhaitait mourir avant Hazembat. Son cœur fondait en songeant au grand bonhomme rude et franc auquel son père l’avait donnée pour se débarrasser d’elle quand il avait installé chez lui la grosse fille de paysan qui lui servait de domestique gratuite plutôt que de maîtresse. Hazembat était tout le contraire d’Arnaud Paynaud : pas fier, généreux de ses quatre sous, content de la vie, dur au labeur, il faisait régner dans la maisonnée une atmosphère de santé solide et de tendresse rugueuse.  
    D’un coup de reins, elle chargea souplement le lourd panier de linge sur sa tête et se dirigea vers la maison. Elle trouva Bernard et Pouriquète assis sur un caisson au débouché du port des Carmes.  
    —  Que hès aciu, Bernard ? Il n’y a pas de travail pour toi aux couraus ?

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