Marin de Gascogne
droite. Malgré les efforts des hommes de godille, ils passèrent au large et disparurent bientôt derrière le coude devant Toulenne.
C’est alors que se présenta le courau. Plus lourd et plus lent, il était aussi plus maniable. L’homme qui tenait le gouvernail devait être un batelier d’expérience car il réussit à se déporter vers la rive gauche et tenta même avec adresse d’embouquer la passe étroite du port des Carmes.
Le courau était plein à craquer d’une populace hurlante où dominaient les femmes et les enfants, mais on voyait luire des lames de faux, et des hommes accrochés en grappes au mât de neuf pieds brandissaient des haches et des couteaux. Deux coups de feu partirent de l’embarcation et se perdirent sur la grève.
Etienne Roudié n’était pas un lâche. Toujours encadré de ses gendarmes, il s’avança jusqu’au bord du quai.
— Que voletz, monde ? Aciu, n’i a pas arré ! Il n’y a rien ici !
Des vociférations lui répondirent. Deux ou trois forcenés se jetèrent à l’eau et, prenant pied sur le banc de grave qui interdisait le port des Chais, tentèrent de gagner l’esplanade. Ils furent rapidement maîtrisés par des hommes de François Labat qui se jetèrent à leur rencontre. La détermination des Langonnais fit hésiter l’homme de barre et, pris par le remous à la sortie du banc, le courau se mit par le travers à une trentaine de brasses. Roudié continuait à parlementer :
— Nous ne pouvons pas vous donner ce que nous n’avons pas !
— Nous voulons le grain que vous vous êtes arrecaté, bandits !
Le courau toucha soudain le banc de grave et s’affala sur le côté, culbutant ses passagers. La folie tomba aussitôt. Des hommes descendirent du courau pour le remettre à flot et des marins de Langon allèrent les aider. Une demi-heure plus tard, sous le soleil déjà chaud, le courau commençait à tourner dans le courant qui s’était amorti sous l’effet de la marée. Une voile monta au mât et deux paires d’avirons apparurent aux bords. Quatre hommes étaient arc-boutés au picon, longue rame placée à la proue pour aider à la manœuvre. La grosse embarcation vira pesamment et tira un bord contre le vent jusqu’à l’autre côté du chenal étroit. Puis elle changea d’amures, aidée par les rameurs qui souquaient dur, et entreprit la longue remontée jusqu’à Saint-Macaire.
— Bon viatge ! cria Etienne Roudié.
Comme il retournait vers l’esplanade en s’épongeant le front, Jean Lafargue s’avança à sa rencontre.
— Monsieur le maire, dit-il, je crois que, pour éviter le retour de pareils périls, il est temps de créer à Langon une garde bourgeoise.
Etienne Roudié le regarda bien en face.
— Monsieur, tant que la Bastille à Paris et le Château-Trompette à Bordeaux tiendront sur leurs fondations, le Roi n’aura d’autre rempart que ses fidèles serviteurs !
C’est ainsi que, sous l’œil émerveillé de Jantet et de Bernard, se termina la Grande Peur à Langon, le jeudi 16 juillet 1789.
C’est le lendemain, à sept heures du soir, que la nouvelle de la prise de la Bastille parvint à Langon : Si quelques initiés, comme Jean Lafargue et François Labat, comprirent immédiatement l’importance et la signification de l’événement, il n’émut guère les Langonnais qui avaient eu tout leur saoul d’émotions fortes les jours précédents.
Seul un ivrogne du nom de Boyreau, dit Gavache, artisan cordonnier de son état, descendit jusqu’aux chantiers pour haranguer les ouvriers et les marins, les incitant à imiter l’exemple du peuple de Paris, à prendre d’assaut l’hôtel de ville et à promener la tête de Roudié au bout d’une pique. Il se fit conspuer, autant parce qu’il gênait le travail que parce que, étant de Monségur, il parlait le patois de la Gavacherie, mélange de saintongeais et de gascon qui prêtait à rire.
Dans la soirée, pourtant, les principaux maîtres de bateau se réunirent à la Maison du Port. On avait envoyé les enfants se coucher, mais, tapis derrière la porte, Jantet et Bernard observaient l’arrivée des visiteurs. Tignous et Capulet, avec sa coiffe rouge, firent leur entrée en même temps qu’Arnaud Paynaud, le propre grand-père de Bernard. Ignorant son frère Pierre, Arnaud Paynaud alla embrasser Hazembate du bout des lèvres, comme s’il avait voulu les économiser.
François
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