Marin de Gascogne
l’avance sur le curé, maintenant surtout que son autorité ne comptait plus guère. L’arrivée de Capsus le détourna opportunément des images étrangement grisantes que cela faisait monter en lui.
Les parents Dubernet vinrent féliciter Bernard. Poudiote distribua à la ronde des gobelets de vin de cerises et Capulet leva le sien d’un air grave.
— Bientôt, peut-être, tu seras un marin de la République, Hazembat. Tâche de t’en montrer digne ! Mes enfants, je bois à la mort des tyrans et, s’il faut un jour de nouveau affronter l’Anglais sur les mers, vous saurez lui rendre coup pour coup comme vos pères l’ont fait avant vous !
Presque ruiné par les assignats qui avaient perdu la moitié de leur valeur, Capulet affichait une ardeur révolutionnaire et guerrière sans faille. En temps de guerre, la Patrie aurait besoin de marchands autant que de soldats et de marins. Il était prêt à faire son devoir.
Quand les jeunes gens prirent congé pour regagner la Maison du Port, Pouriquète attira Bernard dans l’encoignure de la porte et, passant ses bras autour de son cou, se haussa sur la pointe des pieds pour lui murmurer à l’oreille :
— Maintenant, Hazembat, ne me fais pas attendre trop longtemps ma fleur de vanille.
CHAPITRE IV :
LES PORTES DE LA MER
La tuère eut lieu à la Maison du Port quelques jours après l’exécution de Louis Capet, ci-devant Roi de France. On l’avait retardée, car l’engraissement du cochon souffrait de la disette croissante.
Même les plus ardents républicains, comme Tignous, parurent gênés par le sang répandu au cours du charcutage et c’est avec une sorte de soulagement qu’on se lança dans la cuisine du deuxième jour. Un matelot qui avait planté, par jeu, la tête du cochon au bout d’une pique, se fit vertement rabrouer par Perrot. Tante Rapinette n’assista pas au repas traditionnel. Capulet y porta la blinde aux armées de la République. Tout le monde fit chorus, mais on était loin des grands enthousiasmes de l’automne, lors des victoires de Kellermann en Champagne .
Il y avait eu alors un moment d’euphorie. Nommé administrateur du district de Bazas, Jean Lafargue avait épousé à la mi-décembre Catherine, fille de Maître Boissonneau, devenu juge de paix. Le mariage fut célébré à l’hôtel de ville par Pierre Vernier, en tant qu’officier d’état civil, puis la cérémonie religieuse fut expédiée en l’église Saint-Gervais par l’abbé Vital Lafargue. La garde nationale fit la haie, baïonnettes au clair, pour honorer les époux. Les Boissonneau avaient tenu à bien faire les choses et l’on aurait pu croire le temps de l’abondance revenu. A l’angle de la rue Brion et de la rue Maubec, des barriques étaient en perce et des tables étaient dressées pour tous les citoyens de Langon, du plus riche au plus pauvre.
Tandis que la musique de la garde, forte maintenant d’une douzaine de musiciens et soutenue par la chorale patriotique de la Société populaire, faisait alterner le chant de marche des Marseillais avec des hymnes de Gossec et des refrains de l’insurrection parisienne, Bernard alla partager une cuisse de poulet avec Pouriquète. A un certain moment, il se trouva coude à coude avec Brutus Boyreau qui n’était pas le dernier à se goberger, mais gardait une mine sévère. Son regard, légèrement troublé de boisson, s’arrêta sur Bernard.
— Sais-tu à quoi je songe, garçon ? demanda-t-il.
— Sans doute que le vin est bon, citoyen ?
— Non. Je songe au nombre de volontaires qu’on aurait pu armer et équiper avec l’argent qui a été dépensé pour cette fête. Tu le trouves bon, ce vin ?
— Très bon, citoyen.
— Tu as raison, il l’est, mais dépêche-toi de le boire avant qu’il ne prenne un goût de sang.
En nettoyant le rez-de-chaussée avec Guitoun, après la tuère, Bernard songeait aux paroles de Boyreau. Sang de cochon, sang de roi, sang impur, sang de soldats, les choses prenaient goût de sang. Boyreau était devenu un personnage important, respecté et adulé par certains, redouté par tous. Ses interventions à la Société populaire étaient de plus en plus violentes et il semblait qu’il n’y eût plus à Langon que des traîtres voués à la guillotine.
La Gigasse s’apprêtait à décharger du vin à Bordeaux quand arriva la nouvelle de la déclaration de guerre à l’Angleterre et à la
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