Marin de Gascogne
courant, mais les amarres étaient à la limite de tension : certains de leurs points d’ancrage étaient déjà couverts et il était impossible de leur donner le mou nécessaire, le cas échéant. Au milieu de l’après-midi, alors que la cote atteignait trente-huit pieds six pouces, trois pieds et demi de moins qu’en 1770, l’eau cessa de monter. Trois heures plus tard, la décrue s’amorça avec la marée descendante. Les Langonnais harassés purent enfin essayer de dormir.
Les habitants de la Maison du Port avaient trouvé refuge chez les Dubernet. Tous les enfants, jeunes et moins jeunes, étaient entassés dans une seule chambre. Il y avait longtemps que Bernard ne s’était pas ainsi trouvé en compagnie de Pouriquète. Elle avait grandi après sa maladie et elle était presque de la même taille que Jantet dont le menton et les lèvres commençaient à se garnir de duvet. A eux deux, ils formaient un couple si bien assorti que Bernard sentit avec étonnement son cœur se serrer.
On reconstitua dans la chambre la bataille de Chesapeake et elle fit rage jusqu’au moment où Poudiote vint chercher le quinquet et adjoindre de dormir. Longtemps après, Bernard s’éveilla dans la nuit quand une petite main saisit la sienne et il reconnut à leurs parfums capiteux les cheveux de Pouriquète quand ils vinrent se loger au creux de son épaule.
Tôt à l’aube, Hazembat vint le chercher. L’eau baissait rapidement et il fallait s’occuper des couraus. Bernard sortit à tâtons et suivit son père au port.
Ni les maisons ni les bateaux n’avaient subi de gros dégâts, mais il fallut quinze jours de dur travail pour tout nettoyer et remettre en état. Dans la dernière semaine d’avril, l’interminable va-et-vient reprit sur la Garonne. Cette année-là, il dura jusqu’à la fin de juin et, quand on tira les couraus à sec, on venait tout juste d’apprendre la fuite du Roi et son arrestation en Lorraine. L’événement ébranla beaucoup de loyalismes et, dans les discussions qui allèrent bon train tout l’été, certains parlaient ouvertement de république. Même tante Rapinette n’était plus si ardente pour défendre le trône. Perrot était soucieux et Hazembat se taisait. Quant à Touton Tignous, il manifestait de plus en plus de sympathies pour les idées subversives de Boyreau.
Pendant une escale à Langon, au début d’octobre, Bernard apprit que son grand-père Arnaud Paynaud, ainsi qu’Etienne Roudié, l’ancien maire, disparus depuis plusieurs jours, avaient probablement émigré, suivant l’exemple des principaux nobles de la région qui s’en allaient un à un, discrètement. Leur départ alerta les membres les plus vigilants de la Société populaire et de la garde nationale, qui organisèrent des piquets de surveillance. C’est ainsi que la ci-devant comtesse de Marbotin et sa fille aînée furent empêchées de prendre la fuite, mais la fille cadette passa par mailles. On chuchotait que Capdemule lui avait donné secrètement passage sur son courau pour aller s’embarquer à Bordeaux sur un navire hollandais.
Le cul d’an fut triste et la tuère sans entrain. L’assignat avait presque perdu le tiers de sa valeur. Capulet, oubliant son enthousiasme de naguère pour les billets, se hâtait de les échanger contre des denrées dont le prix ne cessait de monter à mesure que d’autres agissaient comme lui.
Quand arriva la nouvelle de la déclaration de guerre à l’Autriche, la plupart des couraus rentrèrent à leur port d’attache. Nombreux étaient les hommes d’équipage qui désiraient s’engager comme volontaires. C’étaient surtout des journaliers, non des matelots qualifiés originaires de la région qui, inscrits maritimes, ne concevaient pas la guerre autrement que sur mer.
Quand, au cours de l’été, on apprit coup sur coup les premiers revers militaires, la proclamation de la Patrie en danger, le manifeste du duc de Brunswick, puis la destitution du Roi après la journée du 10 août, la vieille garde des patriotes langonnais parut se réveiller. De Pierre Jude à Jan Lafargue, de François Labat à Brutus Boyreau, une sorte d’union sacrée se créa. Par acclamations, la Société populaire vota une motion invitant les héroïques défenseurs de la Nation à se porter au plus tôt à la rescousse des valeureux régiments qui faisaient de leurs corps un rempart à la Patrie.
Les élections à la Convention eurent lieu
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