Marin de Gascogne
des grosses balles.
Bernard voyait souvent Pouriquète. Elle était tout à fait jeune fille maintenant, bien qu’elle restât menue et de petite taille. Sa sœur Castagne, qui la dépassait d’une bonne demi-tête, était auréolée du prestige des fiancées de marins depuis que Castagnot avait été incorporé le jour de ses dix-huit ans, mais les réactions de Pouriquète devant la même perspective étaient celles d’une femme adulte. Quand Bernard lui parla du projet d’embarquement avec Lesbats, elle lui dit :
— Puisqu’il faut que tu partes un jour, il vaut mieux que ce soit tout de suite. Je sais que tu reviendras et je t’attendrai tant qu’il faudra. Et, si tu ne revenais pas, plus tôt je m’habituerai à t’attendre, mieux ce sera.
Pendant ce temps, les arrestations continuaient, parfois sous les prétextes les plus minces. N’arrivant pas à imposer sa volonté au comité de surveillance, Boyreau enrageait d’un excès de clémence qu’il dénonçait quotidiennement à la tribune de la Société populaire. Ses cibles favorites étaient François Labat et Jean Lafargue.
Quand vint son tour d’assurer la présidence du comité, il en profita pour frapper un grand coup. C’était le 17 Frimaire, 7 décembre selon l’ancien style. Ce matin-là, avant le jour, la maisonnée du port fut éveillée par de violents coups de poing sur la porte charretière. Accompagné d’Hazembat qui s’était armé d’un gourdin, Perrot alla ôter la barre et se trouva nez à nez avec Tignous, pâle et échevelé. Poussant son frère de côté, Tignous se mit à gravir l’escalier quatre à quatre en criant :
— Le miroir !… le miroir du père !… vite ! vite ! donnez-le-moi !
— Quel miroir ? Pour quoi faire ? demanda Perrot, ahuri.
— Celui qui a le cadre doré avec des fleurs de lys, couillon ! Il faut que je l’emporte tout de suite !
— Mais pourquoi ?
— Putain de merde, va le chercher ! Pourquoi ? Parce que Boyreau va faire perquisitionner les maisons aujourd’hui et que tu es sur la liste !
— Et qu’est-ce qu’il cherche, Boyreau ?
— Les symboles de la féodalité, andouille !
— Quels symboles ? Qu’est-ce que tu racontes ?
— Les fleurs de lys, colhonas de caguèra ! Par les temps qui courent, ça suffit à t’envoyer en prison !
Tante Rapinette, qui avait tout de suite compris, arrivait déjà, portant le miroir enveloppé dans un linge.
— J’ai un compagnon qui est bon sculpteur et il y a de la dorure à l’atelier, cria Tignous en dévalant l’escalier. Je vais tâcher de faire ça pour midi. Espérons qu’ils ne viendront pas avant ! Ils vont chercher : tu as été dénoncé !
— Par qui ?
— Est-ce que je sais ? Tout le monde dénonce en ce moment !
Dans la matinée, on apprit l’arrestation d’Angel Labat, dit Capdemule, comme aristocrate, pour avoir sympathisé avec le club monarchique et avoir favorisé l’émigration d’une ci-devant noble. Il était passé midi quand Tignous revint avec le miroir. Le fronton fleurdelysé avait été proprement scié et remplacé par un autre représentant un chapeau à panache sur deux canons entrecroisés. Afin qu’il n’y eût pas d’équivoque, on avait gravé derrière la date au fer rouge : 1793.
Quelques minutes plus tard, les gardes arrivèrent, escortant le citoyen La Tendresse, maçon de son état, qui était un membre influent du comité de surveillance. Ils allèrent tout droit à la chambre et La Tendresse parut décontenancé en voyant le miroir. Il le décrocha et l’examina de tous côtés.
— C’est du travail récent, ça, grogna-t-il d’un air soupçonneux.
— Bien sûr, citoyen, répondit Perrot. J’ai fait enlever les emblèmes de la féodalité il y a déjà plusieurs mois, après la mort du tyran. Regarde la date : 1793. Si c’était si récent que ça, j’aurais écrit An II.
Renfrogné, La Tendresse rendit le miroir à Perrot.
— La perquisition continue. Gardes, cherchez !
Il mit lui-même la main à la pâte. Tante Rapinette avait eu le bon esprit de faire disparaître le bénitier de faïence qui aurait pu passer pour un symbole de fanatisme. Mais, au bout d’une dizaine de minutes, La Tendresse poussa un rugissement de triomphe.
— Et ça ?
Du doigt, il montrait un petit cadre dans lequel était enchâssé un carreau de faïence
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