Marin de Gascogne
Hollande. Elle créa dans le port une certaine panique. Beaucoup de navires à moitié chargés s’empressaient d’appareiller pour échapper pendant qu’il en était encore temps au blocus que les Anglais ne tarderaient pas à établir le long des côtes. La plupart étaient des caboteurs à destination de Nantes ou de la Bretagne. Presque tous les long-courriers restèrent à l’ancre. Trois navires battant pavillon des Provinces-Unies furent saisis par le Commissariat de la Marine.
— Il n’y a que les Américains qui soient tranquilles, dit Caprouil. Avec leur pavillon neutre, ils pourront toujours passer.
Roumégous, qui était attablé avec l’équipage de la Gigasse à l’auberge de Tastet, hocha sombrement la tête.
— C’est pas ça qui fera de l’abondé ! Enfin, il y aura toujours le trafic de rivière, tant que ce ne serait que pour transporter la mangeaille, mais pour ce qui est du vin, adiu pimpoï ! il vous faudra trouver d’autres clients !
Deux hommes entrèrent dans la salle d’auberge. L’un d’eux était le capitaine Lesbats, mais il fallut un instant à Bernard pour reconnaître en l’autre Claude O’Quin. Il était vêtu très simplement d’un pantalon de coutil retenu par une ceinture de flanelle, d’un gilet de drap et portait un bonnet rouge encocardé.
— Salut, citoyen Hazembat ! s’écria O’Quin d’une voix forte. Tu me reconnais ? Je suis le citoyen Coquin, bon sans-culotte de la section Franklin !
Ses yeux clairs demandaient la discrétion. On leur fit une place sur le banc et Lesbats se mit à discuter avec Caprouil et Roumégous. La Belle de Lormont venait de rentrer des Antilles et allait passer au carénage.
— Tu pourrais aussi bien le laisser pourrir, ton rafiot, dit Roumégous. D’ici que les Anglais te laissent reprendre la mer, il a le temps de s’envaser jusqu’au cacatois !
— Je ne suis pas de ton avis, dit Caprouil. Si le commerce maritime périclite, les Anglais y perdent autant que nous. Une fois les Prussiens, les Autrichiens et les Espagnols culbutés, il y aura probablement moyen de discuter avec eux.
— Il y a plusieurs moyens de discuter avec les Anglais, dit sèchement Lesbats. Le meilleur, c’est à coups de canon.
O’Quin était assis à côté de Bernard. Il se rapprocha de lui.
— Alors, matelot, dit-il à mi-voix, cet embarquement, c’est pour quand ?
— Et sur quoi voulez-vous que je m’embarque, maintenant ? La maison O’Quin va avoir du mal pour armer des navires et plus encore pour les faire naviguer.
— La navigation, c’est l’affaire du capitaine. Quant à la maison O’Quin, ne t’en fais pas pour elle. Ma famille est en sécurité.
— Et vous ? vous restez ici ?
O’Quin haussa les sourcils et répondit pieusement :
— Je suis français, citoyen. Si je m’en allais, ce serait de l’émigration, mais, ajouta-t-il à voix basse, si la Belle de Lormont reprenait la mer, t’y embarquerais-tu avec moi ?
— J’ai quinze ans aujourd’hui, citoyen Coquin. Comme inscrit maritime, dans trois ans, je devrai aller faire la guerre aux Anglais s’ils ne sont pas battus d’ici là.
— Tel que je connais le capitaine Lesbats, avec lui, tu aurais peut-être l’occasion de la leur faire avant.
— Vous comptez appareiller bientôt ?
— Non, pas avant plusieurs mois. Tu as tout ton temps pour réfléchir.
Bernard ne dit rien de cette conversation à ses camarades, mais il en parla à son père quand il le revit à Langon à la fin d’avril. On venait de décréter la levée en masse et Jantet avait trouvé de l’embauche comme charpentier aux chantiers navals de Bacalan.
— T’embarquer au long cours, dit Hazembat, ce ne serait pas une mauvaise idée par les temps qui courent, seulement il y a des risques. Lesbats est un forban, mais c’est un marin de première : il est tout à fait capable de damer leur pion aux Anglais. Le tout est de savoir comment les choses vont tourner ici. Ces imbéciles sont bien capables de nous amener la guerre civile, et alors, adieu la navigation ! Je ne sais pas s’il vaut mieux risquer de crever de faim sur une Garonne sans bateaux que de mourir d’un boulet en haute mer…
La fin de la saison fut maussade. Tout au long de la Garonne, on percevait les signes d’une crise imminente. A Montauban la contre-révolution relevait la tête, à La Réole les
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