Marin de Gascogne
Jacobins faisaient la loi, à Bordeaux on ronchonnait contre la dictature parisienne. Partout, le malaise s’installait, non seulement entre les nostalgiques de l’Ancien Régime et les républicains fanatisés, mais entre les provinces et le pouvoir central, entre les grippe-sous et les gagne-petit, entre les propriétaires satisfaits, les négociants inquiets et le peuple affamé. De jour en jour, la disette devenait plus menaçante. On en arrivait à manger des pommes de terre ou à les mêler, bouillies, à la pâte du pain.
Quand on connut, au début de juin, la condamnation et la proscription des députés de la Gironde, ce fut la consternation. Il y eut même un mouvement de révolte qui resta discret et s’apaisa vite, mais donna aux plus modérés l’occasion de gagner du terrain dans l’opinion.
C’est sans réagir qu’à la mi-juillet, sous une chaleur étouffante, Langon vit s’installer dans les bivouacs naguère occupés par les volontaires une force antimontagnarde de quelque quatre cents hommes, commandée par deux commissaires civils, l’avocat Jean Bernarda et le négociant Antoine Bonnus. Ni l’un ni l’autre n’étaient langonnais d’origine : ils venaient du Haut Pays et prétendaient attendre des renforts pour former l’immense armée départementale qui, faisant sa jonction avec les contingents du Languedoc, du Poitou, de la Vendée et de la Bretagne, marcherait sur Paris pour en finir avec la dictature des Montagnards.
Quelques jours plus tard, la misérable troupe fut dispersée par un contingent de quinze cents Bordelais à la tête desquels se trouvaient les représentants en mission Baudot et Ysabeau. Peu de Langonnais s’étaient compromis dans l’affaire. Il n’y eut que huit personnes arrêtées : cinq allèrent en prison et trois, dont Bernarda et Bonnus, à la guillotine.
A la fin d’août, Baudot et Ysabeau, qui n’avaient pu se maintenir à Bordeaux, entreprirent la reconquête du Bas Pays à partir de La Réole. Cela dura tout le mois de septembre. Le 29, une assemblée de cent soixante-deux citoyens se réunit dans la ci-devant église de Notre-Dame-du-Bourg sous la présidence de Maître Boissonneau et décréta la constitution d’un comité de surveillance. Le premier élu fut Boyreau avec cent une voix. François Labat figurait parmi les suppléants.
Sans désemparer, le comité examina les cas de cent trente suspects et, dès le 2 octobre, tous les ci-devant nobles résidant encore sur le territoire de Langon furent arrêtés, ainsi que les serviteurs qui avaient manifesté un zèle trop servile pour les aristocrates déchus. A partir du 6, on enferma tout ce monde au couvent des Ursulines, transformé en prison.
Le trafic fluvial avait repris avec les grandes eaux d’automne, mais les cargaisons étaient maigres et les voyages de plus en plus espacés. Langon connut alors une famine pire que celle de 1789. Le comité de surveillance fit réquisitionner les provisions des communes rurales avoisinantes pour nourrir la ville. Malgré cela, fin octobre, la ration de pain était tombée à une demi-livre par jour et par tête.
Le 31, Jean-Baptiste Boyer-Fonfrède fut guillotiné à Bordeaux comme Girondin. Quelques jours plus tard, deux Langonnais, Virac et Brethon fils, le suivaient sur l’échafaud pour le même crime.
C’est le lendemain de l’exécution de Fonfrède qu’une décision du comité de surveillance rendit obligatoire à Langon l’usage du calendrier républicain à dater du 1 er jour de la 2 e décade du mois de Brumaire, An II. Depuis quelques semaines déjà, Capulet affectait d’utiliser le système métrique. Il s’était fait envoyer un mètre de Bordeaux et s’en servait pour mesurer le drap à débiter, non sans susciter parmi les chalands d’interminables contestations.
La Maison du Port restait assez à l’écart de cette agitation. Hazembat et Janote, qui travaillaient maintenant chez Dubernet, en rapportaient les potins, mais, quand ils étaient là, ni Perrot ni Hazembat ne faisaient de commentaires. La Gigasse fit coup sur coup deux voyages à Marmande et l’ Aurore un à Bordeaux, mais la plupart du temps les couraus restaient au mouillage. Lanusquet, qui avait du goût pour la mécanique, passait ses journées dans l’atelier du forgeron. Habile de ses doigts, il construisit et monta sur la Gigasse une sorte de palan rudimentaire pour faciliter la manutention des barriques et
Weitere Kostenlose Bücher