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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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est ton oncle, est riche à en crever, et toi, te voilà tout content parce que Perrot va te donner moins que ne gagne le moindre gabarier. Tu crois que c’est de la justice ?  
    — C’est bien pour ça que l’oncle Paynaud est contre la Révolution !  
    — Moi, j’ai vu à Bordeaux des gens qui sont encore bien plus riches que lui et qui sont pour la Révolution.  
    — Et alors ? Lo bon Diu que da lo hred segon la pelha. Le bon Dieu donne à chacun le froid selon sa fourrure : ce qui est la richesse pour moi, c’est peut-être la misère pour un autre.  
    Après la tuère, Bernard retrouva le trafic sur la Garonne : Moissac, Agen, Marmande, Bordeaux. Une fois, début mars, le courau descendit jusqu’à Pauillac où les navires de haute mer baissaient leur voile pour saluer le pavillon du fort. On longea des îles vertes d’herbe grasse et brunes d’aubiers d’hiver. Entre elles et la rive, le chenal atteignait parfois trois encablures. Les marées d’équinoxe approchaient et, à l’étalé de la pleine mer, on sentait, à peine perceptible, la lente et profonde respira tion de la houle venue du large. Le vent, où tourbillonnaient les mouettes, fouettait les narines d’une odeur d’esprit-de-sel, capiteuse et propre, comme lorsque Hazembate venait de laver le plancher de la Maison du Port.  
    Au retour, un mascaret, vif d’abord, puis de plus en plus amorti, porta le courau en dix marées jusqu’à Langon. Il avait beaucoup plu pendant l’hiver et maintenant les gelées s’éternisaient. Or, comme la Gigasse, après une brève escale à Langon, remontait vers Marmande, le vent sauta soudain au sud et la température, en une nuit, passa du glacial au tiède, dégelant d’un coup les petits ruisseaux, les mares et les bras morts.  
    La crue les rattrapa à la descente, le 4 avril 1791, jour du treizième anniversaire de Bernard. La double boucle de Sainte-Bazeille disparaissait sous une nappe miroitante qui paraissait avoir une demi-lieue de large. Caprouil profita de la pointe de marée pour gagner sur le courant la marge de vitesse qui lui permettait de gouverner en suivant au jugé le tracé des berges traîtreusement recouvertes d’une couche d’eau encore mince. Haut perché sur sa falaise, Saint-Macaire offrait, à l’abri de son île, un mouillage relativement sûr aux bateaux éloignés de leur port d’attache, mais, malgré le jour déclinant, Caprouil continua sur Langon où déjà une dizaine de couraus avaient cherché refuge au port des Chais et au port des Carmes. Au Grand Port, le rez-de-chaussée de la maison était inondé et l’on s’affairait à porter à sec le matériel qui s’y trouvait entreposé.  
    Quand la Gigasse se présenta, l’A urore était déjà au mouillage.  
    — Brêlez solidement les bateaux ensemble, cria Pierrot. Il faut qu’ils forment un bloc. On les maintiendra avec des aussières frappées en haut des maisons.  
    Instinctivement, Bernard leva les yeux vers la marque qui portait la date de 1770 presque au ras du toit de l’atelier de forge qui faisait face à la Maison du Port.  
    D’autres couraus venaient s’encarrasser dans la masse compacte qu’il serait ensuite plus facile d’assujettir en réglant la tension des amarres selon la montée de l’eau. Le travail dura longtemps après nuit close tandis que les tocsins se répondaient tout au long de la Garonne.  
    Vers minuit, la crue atteignit la cote de vingt-neuf pieds et, à la Maison du Port, on se mit à déménager le mobilier du premier étage vers le second, à commencer par le cabinet et le lit de cerisier hérités du grand-père Rapin. Quand Hazembat emporta la glace à cadre fleurdelysé et le bénitier de faïence, l’eau commençait à s’infiltrer par les rainures du plancher. Il sortit par la fenêtre de la rue de la Brèche.  
    Un peu avant l’aube, la cote atteignit trente-quatre pieds et l’on commença l’évacuation du second étage. Toute la journée, l’eau poursuivit sa montée. La ville haute de Langon était devenue une sorte de presqu’île reliée à la terre ferme par la route de Bordeaux sur les hauteurs de Toulenne. Au sud, l’eau couvrait les sablières et les vignes ; à l’est, le Brion, débordé, avait envahi les quartiers de Terrefort, du Baron et les Allées Maubec ; au nord, un lac d’une lieue de large s’étendait jusqu’aux coteaux de Pian et de Verdelais.  
    Les bateaux résistaient bien à l’assaut du

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