Marin de Gascogne
cocarde qu’il portait autour du cou sortit de sa chemise. Béthencourt haussa les sourcils.
— Faites disparaître ce colifichet ! ordonna-t-il d’un ton hargneux. Il n’a que faire ici !
Bernard se figea, ne sachant comment réagir. Il n’était pas question pour lui d’ôter la cocarde de Pouriquète, mais il ne pouvait ignorer un ordre direct donné par un officier sans encourir les pires châtiments. Il fut tiré d’embarras par l’arrivée d’O’Quin qui débouchait de la cabine arrière.
— Vous avez certainement mal vu, monsieur Béthencourt, dit O’Quin. Ce que ce jeune homme porte n’est pas un colifichet, mais la cocarde de l a République française dont le port, je vous le rappelle, est obligatoire. Si je lui reprochais quelque chose, ce serait de la porter sous sa chemise et non sur son vêtement comme vous devriez le faire vous-même, monsieur Béthencourt, si vous ne voulez pas encourir les foudres du capitaine Lesbats qui, comme nous tous, n’est-ce pas ? est un fervent républicain.
Béthencourt, livide, serra les poings, puis tourna les talons. O’Quin le suivit du regard avec un sourire narquois. Il était pâle et défait.
— C’est bien la première fois que je m’amuse à bord de ce navire ! Si j’ai le mal de mer sur la Gironde, mon pauvre Hazembat, qu’est-ce que cela va être quand nous serons en haute mer ?
— Nous y serons bientôt ? s’enhardit à demander Bernard.
— Probablement cette nuit si le nordé mollit sans tomber et si le brouillard s’établit. C’est du moins ce que disent Roumégous et Lesbats. Je n’y connais pas grand-chose.
— Le brouillard, c’est pour qu’on ne nous voie pas et le nordé nous donne l’avantage du vent sur un navire qui voudrait nous intercepter. Je suppose que nous allons border la côte au plus près.
Le brouillard ne s’établit qu’après minuit. Dans un silence absolu, Lesbats fit monter tout l’équipage sur le pont. La consigne passa de bouche à oreille : « Branle-bas de combat ! » L’aide-coq vint jeter les braises du fourneau par-dessus bord. Roumégous fit signe à Bernard :
— Va à l’entrepont dire au lieutenant Biot de mettre les canons aux sabords, parés, prêts à tirer, mais qu’il laisse les sabords fermés. Ordre du capitaine.
Lui-même se dirigea avec une équipe vers la masse couverte d’un prélart sur le gaillard d’avant. Le Coadic était à la barre, attentif aux ordres que lui donnait Lesbats. Quand Bernard revint, il reprit son poste à côté de Lacaste qui surveillait le compas et le sablier.
— Nous faisons route au nord-ouest ? demanda-t-il à voix basse.
— Ouest-nord-ouest. Je suppose que Lesbats veut arrondir Cordouan par le nord. Avec ce vent, s’il y a un Anglais, il est embusqué dans la passe entre Cordouan et la Pointe de Grave.
Un coup d’œil de Le Coadic leur imposa silence. La barre des sourcils s’épaississait sous l’effet de la concentration.
— Capitaine, dit soudain le chef timonier, je sens quelque chose à bâbord.
Lesbats tourna légèrement la tête pour prêter l’oreille, puis réagit aussitôt.
— Lacaste, dit-il, va-t’en dans les barres voir si l’on distingue quelque chose au-dessus du brouillard. Hazembat, passe la consigne de bouche à oreille dans tout le bâtiment : silence absolu et cent coups de fouet pour qui laisse seulement tomber un taquet de tournage.
Au retour de Bernard, Lacaste faisait son rapport.
— Il y a un haut de mât à une encablure par bâbord derrière, capitaine. Il porte un signal de reconnaissance : deux lumières rouges.
— Tu as pu te rendre compte de sa route ?
— Ça ne se fait pas de mal avec nous, capitaine. Je dirais nord-nord-ouest. Il devrait couper notre sillage à une demi-encablure.
Lesbats ne répondit pas. Tout restait figé à bord du navire, au point qu’on entendait le bruissement de l’eau sous l’étrave et le long de la coque par-dessus le chuintement lointain des brisants. Bernard tendit l’oreille. Si l’Anglais devait couper le sillage, ce serait maintenant. Soudain, il entendit avec une netteté surprenante quatre coups de cloche percer le brouillard vers l’arrière.
— Four bells, deux heures du matin, dit calmement Lesbats. Leurs chronomètres sont bien réglés. A l’estime, Le Coadic, dans combien de temps pourrons-nous doubler Cordouan ?
— Avec
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