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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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sur le pont ! Envoyez toute la toile !  
    Du navire encore invisible monta la rumeur des voix, le piétinement des pieds nus, le grincement des poulies, le cliquetis des cabestans, les aboiements des quartiers-maîtres. Du brouillard émergèrent par grappes les gabiers allant prendre leurs postes sur les vergues. Une tête ahurie surgit à côté de Bernard.  
    — Merde ! Qu’est-ce que tu fous là, toi ?  
    — Je suis… de vigie, articula péniblement Bernard.  
    — Nom d’un foutre ! on a dû t’oublier ! Eh, les gonzes, aidez-moi à le descendre !  
    Comme des bras puissants s’emparaient de lui, Bernard tourna la tête vers le large. Le premier rayon de soleil, rasant la brume, y déployait comme une immense voûte de nacre bleue, bordée de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et il lui sembla que s’ouvraient devant lui les portes de la mer.  

CHAPITRE V :
FLEUR DE VANILLE
    Depuis trois semaines, la Belle de Lormont cinglait ouest-un quart sud-ouest. Lesbats avait préféré affronter les vents contraires et les tempêtes de l’Atlantique nord plutôt que d’aller chercher les alizés le long des côtes d’Afrique où les patrouilles anglaises surveillaient la route des Indes orientales.  
    Une brise carabinée, charriant grains sur grains avec des creux de trente à quarante pieds, était la meilleure protection contre la vigilance anglaise. Une seule fois, entre les Açores et Madère, la vigie signala une voile juste visible au-dessus de l’horizon un instant dégagé, mais le rideau de pluie se referma aussitôt sur elle et on ne la vit plus.  
    Bernard conserva de cette partie du voyage un souvenir halluciné. Quarts et bordées étaient désorganisés. Tout le monde était nuit et jour aux manœuvres. C’est à peine si l’on arrivait à prendre deux ou trois heures d’un demi-sommeil dans les hamacs secoués comme paniers à salade. Parfois, Le Coadic, Lacaste, Bernard et un gabier de renfort devaient se mettre à quatre pour maintenir la barre. Il y avait toujours un coup de main à donner pour épisser un cordage cassé par la force du vent, pour trimer aux pompes ou pour rentrer de la toile en quelques minutes quand il fallait étaler une rafale. Sven prenait plus que sa part de peine. Moins costaud que Bernard, il était plus agile et grimpait comme un singe jusque dans les cacatois même quand le navire, à la limite de sa gîte, semblait se coucher sur l’eau pour se relever brutalement l’instant d’après comme un étalon secouant sa crinière.  
    Un matin, Bernard monta sur le pont un peu avant le quart. Il aimait cette heure qui précède le jour, où parfois le vent semble se calmer comme s’il était las des assauts de la nuit. Cette fois, ce n’était pas un jeu de l’imagination. La morsure des embruns fouettés par les rafales était moins cruelle et Bernard trouvait même un certain plaisir amer à sentir sur son corps cette caresse brutale. Son père disait qu’il serait plus en sûreté sur le pont d’un trois-mâts que sur le tillac d’un courau. Il se sentait surtout plus libre, plus fort. L’Océan était un adversaire plus franc, plus noble que la rivière et surtout plus stimulant. Depuis le début de la croisière, il avait mis des muscles et pris de la carrure. Le biscuit de mer, la viande salée et la soupe de pois ne rebutaient pas son estomac de seize ans et, si les rations de bord n’étaient pas très généreuses, elles étaient plus régulières et plus nourrissantes que celles d’un batelier de Garonne.  
    Béthencourt achevait son quart. Le Coadic était à la barre, assisté d’un gabier. Se laissant glisser le long d’un hauban, Sven bondit sur le gaillard, hors d’haleine.  
    — La balancine est épissée, monsieur.  
    — Bien, répondit Béthencourt.  
    Visiblement, Sven était épuisé. Il avait moins profité que Bernard de la vie de bord. Son teint était plus pâle que jamais et son échine frêle semblait se voûter chaque jour davantage sous l’effet de la fatigue.  
    Il s’en fallait de quelques minutes pour que le quart s’achevât Pellé de Bridoire parut à la porte du quartier des officiers et Lacaste vint se placer à côté de Le Coadic, prêt à saisir la barre. Soudain, un coup de roulis plus sec que les autres décrocha un fanal suspendu à la vergue de volant d’artimon. Il rebondit plusieurs fois dans le gréement et vint rouler sur le pont à quelques pas de la timonerie.

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