Marin de Gascogne
adolescent pâle assis à côté de Le Coadic, c’est Sven, apprenti timonier comme toi. Il est norvégien et c’est à peine s’il comprend le français. Pour les autres, tu feras connaissance à bord. Après-demain, 27 Nivôse, à six heures du matin, une chaloupe partira du quai des Chartrons. Sois là avec ton fardage.
Ayant la journée libre, Bernard, le lendemain, alla voir Jantet à Bacalan. Il erra longuement parmi les coques à sec et les hautes membrures dressées sur les quilles, prêtes à recevoir les bordages. Le temps avait fraîchi et il ne pleuvait plus. Par endroits, il y avait des plaques de gelée blanche sur les toits exposés au nord. C’est seulement vers midi qu’il trouva l’atelier où travaillait Jantet. Une équipe de compagnons s’affairait sur une lourde pièce qu’Hazembat crut reconnaître pour un étambot.
— C’est un étambot, lui dit Jantet, et il est de taille. Il est destiné à une corvette de guerre que la ville de Bayonne offre à la République. On l’appellera la Bayonnaise.
A trois heures, les charpentiers firent une pause. Bernard tira un paquet de sa poche.
— J’ai porté la confiture que ma sœur m’a donnée en partant. Elle ne se gardera pas à bord. J’ai pensé que nous pouvions la manger ensemble.
Jantet coupa son morceau de pain en deux et ils étendirent sur chaque tranche une couche de confiture beaucoup plus épaisse que celles de tante Rapinette.
— De la prune, dit Jantet. Ça sent la maison. Comment va le monde ?
— Bien. Personne n’a été malade cette année. Pour le reste, ton père et le mien font marcher.
— Et Pouriquète ?
— Elle m’a donné ça en souvenir.
Il avait accroché la cocarde à un cordonnet et la portait autour du cou, sous sa chemise.
— Elle est encore jeune pour être fiancée.
— Nous ne sommes pas encore fiancés, mais je pense que nous le serons si je reviens de ce voyage. Et toi, tu n’as pas de bonne amie ?
— Et où veux-tu que j’en trouve une ? Je travaille ici, je mange ici, je dors ici et je n’ai pas d’argent pour les filles qui viennent nous rendre visite. Quelquefois, je me dis que, lorsque la Bayonnaise sera terminée, je m’engagerai pour m’embarquer sur elle.
Il tourna vers Bernard son visage mince, aux grands yeux sombres.
— Je t’envie, tu sais !
— Pourtant, dans deux ou trois jours, je serai peut-être mort ou prisonnier !
Ils se quittèrent à la fin de la pause en se donnant un baiser sur chaque joue.
— Bon vent, Hazembat.
— Rendez-vous en mer, Jantet.
Le lendemain matin, l’équipage de la Gigasse accompagna Bernard au canot.
— Montre aux Anglais ce que valent nos marins de Garonne, lui dit Caprouil en lui serrant la main.
— Sias hardit, Hazembat ! lui souffla Lanusquet à l’oreille en l’embrassant.
Il avait gelé pendant la nuit et l’échelle de corde brûlait les doigts. Quand il prit pied sur le pont verglacé, Bernard eut l’impression d’être tombé dans un enclos à bétail pris de folie. Des hommes couraient en tous sens, poursuivis par les cris furieux des quartiers-maîtres. La même agitation régnait dans les hunes. Parfois, un gabier se laissait glisser vertigineusement le long d’un galhauban et courait haler frénétiquement une écoute. Bernard faillit être culbuté quand une grosse poulie, balancée au bout d’une drisse folle, vint heurter le sac qu’il portait sur le dos.
Un second maître rougeaud qui s’époumonait dans son sifflet lui cria à la figure :
— Qu’est-ce que tu branles là, foutriquet ?
— Je cherche le maître timonier.
— T’as jamais vu de bateau, bouseux ? Tu sais pas que la timonerie, c’est au pied du mât d’artimon ? Allez, dégage !
Il fallut un instant à Hazembat pour se rappeler où était le mât d’artimon. Louvoyant à travers les obstacles, il se dirigea vers le gaillard d’arrière. Le Coadic était là, surveillant une équipe qui réglait la tension des drosses de la barre.
— Apprenti Hazembat, à vos ordres, maître.
Les yeux d’ardoise se tournèrent un instant vers lui.
— Lacaste, dit-il, emmène-le au poste déposer son fardage et ramène-le ici.
Les muscles de Lacaste gonflaient de manière impressionnante les manches de son tricot. Une balafre donnait à son visage une expression féroce, mais son regard était franc et
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