Marin de Gascogne
Lormont mit en panne devant Batabano. Roumégous fit mettre deux embarcations à la mer.
— Hazembat ! cria-t-il, amène-toi pour nous guider, toi qui connais le patelin !
Tandis qu’ils souquaient vers le rivage, Bernard demanda :
— Qu’est-ce que nous allons faire là-bas ?
— Nous ravitailler, punaise ! Qui dit village dit boustifaille ! Il y a bien quelques bestiaux dans le coin ?
— Deux ou trois vaches, des cochons, des poulets et puis, bien sûr, les langoustes du vivier.
— Oh, putain de moine ! des langoustes ! Il y a bien six mois de ça que j’en ai pas chuqué !
Dès que les embarcations touchèrent terre, les marins foncèrent vers les maisons en hurlant et en brandissant leurs sabres d’abordage. Mais tout paraissait désert : les habitants, habitués aux incursions de pirates, s’étaient enfuis ou cachés.
Bernard conduisit d’abord Roumégous et ses hommes vers les enclos où se trouvait le maigre bétail que les villageois n’avaient pu emmener avec eux. Tandis qu’on poussait les vaches et les cochons vers les chaloupes et qu’on tordait le cou aux poules, il lui vint à l’idée qu’il pourrait en profiter pour récupérer son fardage chez le mulâtre.
La bicoque était déjà envahie par un groupe de marins qui pillaient la réserve de tafia. Devant la porte, le mulâtre était étendu, le crâne fendu jusqu’au nez par un coup de sabre. Bousculant les matelots à moitié ivres, Bernard enfonça du pied la porte de l’appentis où Sam et lui dormaient quand il pleuvait trop pour rester sur la plage. Au moment où il chargeait son sac, il vit celui de Sam, plus gros que le sien. D’une main, il le souleva et découvrit deux gros yeux blancs épouvantés.
— Ekwé ! qu’est-ce que tu fiches là ? S’ils te découvrent, ils vont te massacrer toi aussi !
Le prenant par le bras, il le mit rudement sur pied.
— Tiens ! rends-toi utile ! Prends le sac de Sam et suis-moi !
— Sam ! si ! si !… bueno !…
Il obéit au geste. Les marins, à moitié ivres, étaient en train de mettre le feu à la bicoque. Suivi d’Ekwé, Bernard se dirigea vers les embarcations dont Roumégous surveillait le chargement.
— Hé ! Hazembat, qu’est-ce que c’est que ce noiraud que tu me ramènes ?
— C’est un esclave de mon patron.
— Il n’y a plus d’esclave, foutre de Dieu ! Ne prononce plus ce mot devant moi ! Qu’est-ce qu’il sait faire, ton mal blanchi ?
— A peu près tout.
— Il sait faire la cuisine ?
— Il se débrouille assez bien !
— Alors embarque-le ! Depuis que le coq a été tué au large du cap Cruz, on bouffe que de la ragougnasse à bord !
Ainsi commença pour Bernard l’étrange et excitante vie du corsaire. Il comprit vite la tactique de Lesbats.
Malgré leur inlassable vigilance, les Anglais ne pouvaient surveiller toutes les criques de tous les îlots de tous les archipels du Caraïbe. Eux, en revanche, n’échappaient pas à l’attention des petits bateaux de pêche et des caboteurs qui, de saut de puce en saut de puce, sillonnaient la mer des Antilles de la côte du Yucatan à Trinidad et de Curaçao aux Bahamas, se livrant, quand l’occasion se présentait, à beaucoup de contrebande et un peu de piraterie. Les nouvelles passaient de bord à bord en haute mer ou bien s’échangeaient contre finances dans ces refuges clandestins qu’offraient aux navires interlopes certains mouillages discrets.
Lesbats savait toujours où se trouvait la flotte anglaise, quelles routes suivaient ses divisions, quelles zones battaient ses frégates, alors que les Anglais ne pouvaient jamais savoir derrière quel récif, quelle pointe ou à l’abri de quel grain se tenait le corsaire à l’affût du navire marchand assez imprudent pour s’écarter du convoi.
En général, Lesbats préférait s’attaquer à des proies de tonnage moyen, demandant moins d’hommes pour l’équipage de prise et plus faciles à négocier. Il n’aimait guère traiter avec Victor Hugues à la Guadeloupe et préférait chercher des acheteurs sur la côte où les armateurs espagnols étaient moins regardants que le commissariat de la Marine française.
Il y avait des épisodes violents et sauvages comme celui du cap Zapata, quand des équipages entiers étaient massacrés et jetés à la mer. Parfois, on mouillait quelques heures devant un
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