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Marin de Gascogne

Marin de Gascogne

Titel: Marin de Gascogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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retourna. Ses yeux étaient ouverts, déjà voilés par l’agonie.  
    —  Guess i’m through, mate, articula-t-il faiblement. M’est avis que je suis fait… Tâche de sauver ta peau… Prends une mule… Si tu arrives à Batabano, tout ce qu’il y a dans mon fardage est à toi… Fair winds, sonny…  
    Sa tête retomba. Horrifié et incrédule, Bernard regarda son visage se figer dans la mort, n’entendant ni ne voyant rien de ce qui se passait autour de lui. Soudain, un homme fut sur son dos, poussant la pointe d’un sabre entre ses côtes. Instinctivement, il esquiva et se retourna pour reconnaître le visage de Roumégous tordu de fureur.  
    Il y eut un instant de stupeur, puis, détournant le sabre, Bernard se jeta à la gorge du maître d’équipage.  
    — Salaud !  
    Roumégous para tranquillement l’assaut d’une manchette de la main gauche.  
    — Hé, funérailles, gonze ! qu’est-ce que tu branles par ici ? Pour un peu je t’estourbissais comme l’autre ! On vous avait pris pour des Goddem. C’est un ami à toi ?  
    — Mon meilleur ami ! Pourquoi l’avez-vous tué ? C’est un Américain !  
    — Qu’est-ce que tu veux, à cette distance, c’est duraille de faire la différence !  
    Le silence, d’un coup, s’était établi sur la plage. Des marins français ramenaient les caisses vers les chaloupes.  
    — Qu’est-ce que vous avez fait des Anglais ?  
    D’un geste précis, Roumégous planta son sabre dans la gorge du blessé à demi inconscient que Sam avait lâché en tombant.  
    — Ça. Personnellement, j’aurais préféré les pendre à la grande vergue, comme ils font aux corsaires quand ils les prennent, mais Lesbats est pressé. Ce putassier de sloop transportait de la Jamaïque à La Havane la paye de la flottille anglaise de Cuba. Il s’est fait prendre de court par la nouvelle du changement d’amures. Mais si nos nouveaux copains espagnols apprennent ce qu’il avait à bord, ça pourrait leur donner des idées !  
    — C’est vrai que les Espagnols sont de notre côté, maintenant ?  
    — Ils ne sont plus du côté des Goddem, c’est sûr, mais pour ce qui est de leur faire confiance, c’est une autre paire de roubignoles ! Maintenant, il ne te reste plus qu’à me suivre à bord.  
    — Qu’est-ce que je vais y faire ?  
    — Ça dépend des Lesbats. Il peut te mettre aux fers, te pendre ou t’enrôler, c’est selon.  
    L’accueil de Lesbats fut froid, mais sans hostilité.  
    — Tu tombes à pic, Hazembat. Le remplaçant de Lacaste s’est fait écrabouiller par un boulet la semaine dernière. Tu seras second timonier avec Le Coadic.  
    Bernard obtint que la dépouille de Sam fût immergée au large avec les honneurs. Quand la bannière étoilée descendit de la corne d’artimon après la brève cérémonie, il courut se réfugier au poste des timoniers et pleura amèrement.  
    La première chose qui le frappa quand il prit son service, c’est qu’il n’y avait plus personne à bord pour l’appeler Bernard, mate ou old chap. Il était, et pour la vie, devenu Hazembat tout court.  
    Le Coadic lui passa la barre au quart de midi. C’est quand il prit la roue en main qu’il se rendit compte à quel point il avait grandi depuis qu’il avait quitté la Belle de Lormont dix-huit mois plus tôt. Les manettes de la roue lui arrivaient alors tout juste sous le menton ; maintenant, il les tenait à mi-poitrine. Il calcula que cela devait faire près de six pouces. Bien carré sur ses jambes, il se sentait les épaules larges, la poitrine profonde et les bras tout en muscles, savourant la griserie de tenir entre ses mains les rênes du grand coursier des mers. Il eut un regard protecteur pour son aide-timonier, un gringalet de quinze ans, fils d’un petit planteur de Saint-Domingue chassé par la révolte des nègres. Le garçon le regardait avec l’espèce de vénération admirative que l’on porte aux gens qui ont connu beaucoup d’aventures. Son histoire, amplifiée et enjolivée, devait déjà courir dans tout l’équipage. Il sourit. Barre, qui était de quart, vint se placer à côté de lui.  
    — Tu connais ces eaux. Qu’est-ce qu’il y a comme fond à Batabano ?  
    — Dix brasses à une encablure. Ensuite, ça remonte vite. C ’est là que nous allons ?  
    — Tu verras bien, répondit sèchement le lieutenant. La cloche piquait le deuxième quart de l’après-midi quand la Belle de

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