Marin de Gascogne
entendit dut l’inquiéter, car il revint prendre la lanterne de la timonerie, descendit les marches du gaillard d’arrière et alla se pencher par-dessus bord, essayant d’éclairer l’eau vers l’avant.
Un coup de feu claqua et Larrivée tomba en arrière, le visage ensanglanté. La lanterne roula sur le pont et s’éteignit. Au même instant, avec des hurlements sauvages, des dizaines de formes indistinctes montèrent à l’assaut des filets d’abordage que la Belle de Lormont portait, par précaution, toujours gréés aux abords des côtes.
Les mains crispées sur les manettes, Hazembat resta quelques secondes paralysé, puis il se mit à faire sonner la cloche en criant : « Aux armes ! Abordage par bâbord ! » Mais le coup de feu et les cris avaient déjà alerté la bordée de quart dont les hommes dormaient ou flânaient sur le pont. Çà et là, des membres de l’équipage, armés de haches et de taquets de tournage, commençaient à repousser les assaillants. Bientôt, on entendit la voix de Roumégous qui hurlait des ordres dans la nuit noire. Quelques lanternes s’allumèrent.
Suivi de Barre, Lesbats surgit soudain à côté d’Hazembat.
— Où est Larrivée ?
— Il a été touché, commandant.
— Barre, prends la passerelle. Je vais à l’avant : ça a l’air de se passer là.
Il saisit son porte-voix et cria :
— Branle-bas de combat ! Tout le monde sur le pont à repousser l’abordage ! Une division à l’arrière, le reste à l’avant !
Les autres officiers, tirés de leurs lits, se précipitèrent vers leurs postes, cherchant à rallier leurs hommes dans l’obscurité.
A l’instant où Lesbats mettait le pied sur l’échelle, l’écoutille située au pied du mât d’artimon s’ouvrit avec fracas et une troupe d’hommes, brandissant des armes improvisées, se rua à l’assaut de la passerelle. C’étaient tous des nègres de l’équipage, Ekwé à leur tête, coiffé du bonnet rouge.
Tirant leurs sabres, Barre et Lesbats tentèrent de repousser les assaillants. Dans l’obscurité, une ruée de corps nus et luisants déferla sur la timonerie. Hazembat, cramponné à la barre, résista à la poussée. A un moment, il vit, tout près de lui, un visage tordu de fureur et une lame effleura sa tête avec un sifflement sinistre. Son agresseur lui saisit les cheveux et leva de nouveau le bras. C’est alors qu’il entendit la voix d’Ekwé baragouiner dans une langue inconnue. La main qui tenait ses cheveux lâcha prise. Il se redressa en prenant appui sur les manettes et respira un bon coup. De l’avant, venait un feu nourri de mousqueterie. Les assaillants avaient des fusils et des pistolets. A l’arrière, par contre, le contingent de nègres mutinés ne semblait pour l’instant disposer que d’armes blanches. Du coin de l’œil, Hazembat vit que Barre et Lesbats étaient acculés dans l’angle tribord de la passerelle. La division envoyée à leur rescousse n’arrivait pas à prendre pied sur le gaillard d’arrière et les deux officiers disparaissaient sous l’amoncellement des corps nus.
C’est alors qu’Hazembat se souvint de ses pistolets. Tenant la barre de la main gauche, il en tira un de sa ceinture, l’arma du pouce et fit feu sur la masse confuse des nègres. Le recul lui arracha l’arme des mains, mais la détonation produisit un effet de surprise sur les attaquants qui, cédant à une brève panique, desserrèrent un instant leur étreinte. Hazembat devina, aux prises avec Lesbats, un grand diable noir qu’il reconnut pour un des maîtres de manœuvre au cabestan. Il levait une gaffe dont il s’apprêtait à abattre le fer sur le crâne du capitaine. Déjà, Hazembat avait tiré et armé son deuxième pistolet. Par-dessus son épaule, la main encore endolorie, il visa de son mieux en direction du large dos nu et fit feu. Le nègre s’écroula et aussitôt Lesbats, s’emparant de la gaffe, se mit à décrire de larges moulinets qui firent rapidement le vide autour de lui. La division de secours, menée par Le Coadic, déboucha sur la passerelle et acheva la déroute des assaillants.
A l’avant aussi, l’équipage semblait avoir pris le dessus. La mousqueterie avait cessé : il n’était guère possible de recharger une arme dans un tel chaos. Les abordeurs commencèrent à refluer et à sauter pardessus bord pour rejoindre leurs embarcations. Les mutins de l’arrière les
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