Marin de Gascogne
tentent de gagner la rive. Si les Français ne les canardent pas, ils ont une chance de toucher terre pas très loin d’ici.
Mais le trois-mâts ne semblait pas se soucier des canots. Pendant une grande heure encore, il continua à pilonner l’épave. La fumée, peu à peu, s’étendit sur le fond de la baie, masquant l’agonie du sloop.
— Les Anglais avaient dû laisser des canonniers à bord pour tirer jusqu’au dernier moment. Si les canots ont pu aborder, ce doit être à quatre ou cinq milles d’ici. Il faut aller voir s’il y a des survivants.
Malgré les protestations du mulâtre, ils dételèrent deux mules d’un chariot prêt à partir et s’engagèrent sur le sentier tortueux qui longeait la côte.
Deux heures plus tard, ils débouchèrent d’un petit col qui dominait une plage. A quelque cent toises, deux canots étaient échoués, entourés de corps étendus. Une vingtaine d’hommes s’affairaient à décharger des caisses qu’ils transportaient vers le taillis de la forêt proche.
Depuis longtemps déjà, le navire français avait cessé de tirer. On le voyait qui faisait voile vers la plage dont il n’était plus éloigné que de quelques encablures.
Un grand trois-mâts toutes voiles dehors est un des plus beaux spectacles qu’il soit donné de voir au monde. Fasciné, Bernard regardait la grande pyramide de toile glisser silencieusement sur les eaux de la baie, éclatante de blancheur sur le ciel de plomb. Soudain, son gréement lui parut familier, puis il reconnut le baquet qui servait de poste de vigie dans la grande hune.
— La Belle de Lormont ! cria-t-il. Sam ! c’est la Belle de Lormont ! Ils viennent porter secours aux rescapés !
Etourdiment, il lança sa mule au grand galop dans la pente. Sam haussa les épaules et le suivit.
Ils n’étaient plus qu’à une centaine de pieds des Anglais, quand un officier en uniforme déchiqueté et maculé se leva. Son bras droit pendait inerte le long de son corps, mais, du gauche, il braquait un pistolet sur eux.
— Keep away Au large ! cria-t-il d’une voix rauque. Bernard mit pied à terre et s’avança prudemment.
— Friends ! cria-t-il. Nous venons aider les blessés. Méfiant, l’officier le considéra sans abaisser son pistolet.
— Qui êtes-vous ?
— Des Américains, sir, répondit Sam qui avait rejoint son camarade. Vos blessés ont besoin de secours.
Après avoir hésité un instant, l’officier remit son pistolet à la ceinture.
— All right, vous pouvez voir s’il y en a encore quelques-uns qui sont en vie.
Il s’assit de nouveau sur le sable pour surveiller le transport des caisses. De temps en temps, il jetait un regard inquiet vers la Belle de Lormont qui avait mis en panne à une encablure.
La salve prit Bernard par surprise. Heureusement, les canons de la Belle de Lormont avaient tiré long et les boulets allèrent se perdre dans les taillis. La deuxième salve frappa au milieu des blessés et fit voler un canot en éclats.
— Ils sont fous ! cria Bernard. Ils tirent sur les blessés !
Il courut jusqu’au bord de l’eau et, ôtant sa chemise, la brandit comme un drapeau blanc.
La Belle de Lormont avait mis à la mer quatre chaloupes chargées d’hommes gesticulant et hurlant. Elles firent aussitôt force rames vers la plage où une troisième salve culbuta quatre hommes qui transportaient une caisse. Un boulet court laboura le sable à côté de Bernard.
Derrière lui, l’officier anglais hurlait des ordres et les hommes valides se replièrent à la lisière de la forêt. Venue de la chaloupe la plus proche, une rafale irrégulière de mousqueterie balaya le rivage et Bernard n’eut que le temps de se jeter à terre. Déjà, les Anglais, à l’abri des arbres, répondaient sporadiquement au feu.
Une à une, les chaloupes touchaient terre et la plage s’emplissait de vociférations furieuses entrecoupées de coups de feu. Bernard entendit une balle miauler au ras de sa tête. Courbé en deux, il courut rejoindre Sam qui avait chargé sur ses épaules un blessé moins touché que les autres.
— Aux mules ! cria-t-il.
Ils n’avaient fait que quelques pas quand Sam eut une sorte de hoquet, tituba, lâcha son fardeau et s’écroula, le nez dans le sable. Sans se soucier de la fusillade, Bernard revint vers lui. Une fleur de sang s’épanouissait sur son dos.
— Sam !
Il le
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