Mélancolie française
franciser des territoires, nous francisions des populations. Comme d’habitude à la romaine, par la citoyenneté, l’égalité politique et juridique, la langue, la culture.
Tout indique que nous avons recommencé cette histoire avec notre ultime empire colonial. Sous la pression du FLN au pouvoir, le général de Gaulle lui-même rétablit deux ans seulement après l’indépendance, les « privilèges » anciens des habitants de l’Algérie française : droit de s’installer librement en France et d’y jouir de tous les droits des citoyens français à l’exception des droits politiques ; droit de faire reconnaître quand ils le veulent leur nationalité française. 400 000 Algériens vinrent s’installer dans l’ancienne métropole coloniale entre 1962 et 1972. En rejoignirent d’autres déjà arrivés dans les années 1950. Pendant cette guerre qu’on appelait alors « pacification », les autorités françaises avaient en effet contraint des patrons rétifs à embaucher une main-d’œuvre essentiellement kabyle afin d’alléger une pression démographique qui risquait de faire exploser la marmite sociale algérienne. Bientôt, de Gaulle ouvrit aussi les vannes de l’immigration africaine. La France des cent millions d’habitants qu’il brocardait ne le hantait-il pas lui aussi ?
Plus profondément, le Général crut-il recommencer lui aussi la même histoire, et maîtriser les équilibres subtils entre immigration et assimilation ? Illusion démasquée par son successeur Georges Pompidou lançant à son ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, inquiet : « C’est l’affaire du patronat ». De Gaulle avait abandonné ces territoires coloniaux pour des motifs économiques et financiers : « Puisqu’on ne peut pas leur donner l’égalité, qu’on leur donne la liberté, bye-bye , vous nous coûtez trop cher. » La France reçut ensuite des millions d’immigrés venus de ces contrées pour d’autres raisons économiques surtout, mais aussi humanitaires, démographiques ou géostratégiques, le même entrelacs de motivations qui avaient déjà animé les classes dirigeantes romaines face à leur « barbares ».
Quarante ans plus tard, c’est une fois encore la « romanisation » qui s’essouffle, l’assimilation qui n’est plus de saison, la « francisation », comme disait le général de Gaulle, qui reste en panne. Le double paradoxe français est de retour : seul pays européen à accroître sa population tandis que celle de ses voisins amorce sa décrue, la France retrouve sa domination démographique sur le continent au moment où la nation, à force de concentrations ethniques et de diversité multiculturelle, risque de redevenir cet « agrégat institué de peuples désunis » que décrivait Mirabeau à la veille de la Révolution française. France, pays des discordes jusqu’aux guerres civiles ; pays couturé de jonctions, de frontières, où se sont déroulés des siècles de luttes, à peine entrecoupés par des intermèdes d’ordre, de paix et de gloire. Notre erreur fut sans doute de croire que la paix depuis quarante ans était l’état normal alors qu’elle était une exception. Étonnante constance française…
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