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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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nous a poussés, mes frères et moi, à aller à l’école française. Au village, sur une centaine d’enfants, nous étions une poignée à y aller. "Ceux qui apprennent le français quand ils seront morts, ils iront en enfer !" disaient les gens. Moi, je voyais les vieux qui jouaient aux cartes et qui parlaient français : "Et eux alors, je demandais, ils iront en enfer" ? » (Abasse Dione, écrivain sénégalais, dans Le Monde du 6 septembre 2008.)
    La langue française est la langue sacrée de la raison, de la liberté, de l’émancipation par rapport à la religion et au pouvoir. Du moins a-t-elle été ainsi intériorisée par les Français, et par les élites du monde entier. Elle fut vomie par les clergés espagnol, russe, puis belge pour le même motif : la langue de l’antéchrist. Aujourd’hui, dans les banlieues françaises, nombre de familles musulmanes interdisent à leurs enfants de parler à la maison le français, langue du diable.
    Pour la première fois dans son histoire, depuis le temps lointain où il a supplanté le latin, le français doit affronter sur son sol une double concurrence. D’abord, celle d’une nouvelle lingua franca , idiome universel, qu’on appelle l’anglais ; plutôt un anglo-américain de bazar, comme il y eut jadis un latin de cuisine, baragouiné dans les bataillons cosmopolites de l’armée romaine, celui des aéroports, de l’économie, des états-majors des plus grandes entreprises. Devant l’assemblée de leurs actionnaires, les grands patrons du CAC 40 prononcent leurs discours en anglais. Parmi la nouvelle génération des chanteurs français, nombreux sont ceux qui écrivent leurs « lyrics » directement en anglais. Si cette tendance persistait, le français rendrait les armes ; il aurait été la dernière langue à résister en Europe ; depuis belle lurette, les groupes musicaux allemands, hollandais, suédois, ou même venus des pays latins, chantent dans « la langue du marché mondial ».
    La seconde rivale est une langue sacrée religieuse, celle du Coran, l’arabe, qu’une nouvelle génération en quête d’identité et de racines, les jeunes Français musulmans, s’efforce d’apprendre. Musulman signifie : « Soumets-toi à Dieu. » Il était inévitable que la langue de la soumission à Dieu affrontât la langue de la liberté, de l’abstraction, de l’émancipation. Dans le creuset banlieusard aux dizaines de nationalités se forge au jour le jour un nouveau langage admiré des seuls linguistes et des « belles âmes » qui croient y voir un surgeon de la vieille tradition argotique du peuple français. Le vocabulaire y est au contraire désespérément appauvri ; la syntaxe n’est plus française ; la rigueur de la structure latine a été balayée. Une nouvelle langue – un français créolisé, un pidgin ? – est née, et se répand, coupant une partie de la jeunesse de notre pays du reste de la population.
    Élites mondialisées parlant, pensant en anglais, et lumpenprolétariat islamisé forgeant un créole banlieusard : une double sécession linguistique mine silencieusement notre pays qui avait pris l’habitude séculaire d’associer unité politique et linguistique, et qui fit même pendant longtemps rimer les progrès de la francisation avec ceux des Lumières.
    Après les émeutes de novembre 2005, le maire communiste de Vénissieux, André Gérin, écrivit dans un livre intitulé Les Ghettos de la République : « Le problème des émeutes, à Vénissieux, ou dans les communes semblables, c’est qu’elles se produisent tout le temps […]. Lorsque je dis que sont perceptibles les germes d’une guerre civile, je n’exagère pas, je ne noircis pas le tableau. Au contraire, je suis au-dessous de la vérité. »
    Pour l’instant, ces émeutes urbaines sans objectifs politiques ni leaders charismatiques ressemblent plutôt aux « émotions populaires » de jadis, à ces jacqueries qui émaillèrent continûment l’histoire de l’Ancien Régime. Sauf qu’en 1789, on crevait de faim et que deux siècles plus tard, on touche le RMI. Quant à l’Islam, il ne remplace pas aisément l’enseignement des « Lumières » comme ferment révolutionnaire ; le déséquilibre des forces conjure pour l’instant les menaces de guerre civile.
    Il ne faut pas se payer de mots ! C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et

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