Mélancolie française
désormais usuel, les élites françaises s’étaient abritées derrière l’Europe pour abandonner un modèle national qu’elles rejetaient, jugeaient injuste et inadapté aux temps nouveaux, tandis que les classes populaires s’y accrochaient au fond de leur cœur sans oser ni pouvoir le défendre dans l’espace démocratique.
Celles-ci votent avec leurs pieds. Refusant ce « vouloir vivre ensemble » négocié, ne se « sentant plus français en France », les « non-immigrants » – comme disent désormais les démographes pour ne pas dire « Français de souche » devenu honni – fuient leurs quartiers lorsqu’ils estiment qu’il y a « trop d’immigrés ». Les élites condamnent alors la constitution de « ghettos » et veulent contraindre par la loi les gens à rester et à « vivre ensemble » au nom de la « mixité sociale ». Dans un système où l’assimilation demeure le sur-moi populaire, et la diversité multiculturaliste la réalité non assumée mais vantée par les « faiseurs d’opinion », on comprend mieux l’incompréhension, voire l’hostilité croissante entre autochtones et jeunesse d’origine immigrée qui se réfèrent à deux modèles de coexistence différents, en utilisant le même concept-valise d’intégration vidé de sa substance. On apprécie mieux les mouvements de fuite et de concentration ethniques jamais vues en France, et potentiellement explosives :
« S i on abandonne l’assimilation, il faut également consentir à faire son deuil de la mixité sociale à laquelle les autochtones se plient à condition qu’on ne les oblige pas à voisiner avec des personnes dont les modes de vie sont trop différents des leurs. On ne peut pas à la fois désirer respecter les différents usages, et empêcher les individus de choisir leur voisinage » (Philippe d’Iribarne. Le Débat n° 129 mars-avril 2004).
Pour qualifier ces mouvements de séparation de populations, certains évoquent, avec des trémolos dans la voix, une « situation d’apartheid ». C’est l’exact contraire. L’« apartheid » est une séparation imposée par les élites politiques au nom de principes racistes. En France, aujourd’hui, les politiques sont les derniers à tenter d’imposer un « mélange », une « mixité sociale » au nom de principes humanistes à des populations qui, majoritairement, « votent avec leurs pieds » en faveur d’un divorce en bonne et due forme.
En Seine-Saint-Denis, la proportion de jeunes d’origine étrangère est passée de 18, 8 % à 50,1 % en trente ans. Dans des villes comme Mantes-la-Jolie, leur nombre a été multiplié par 11 entre 1968 et 1999, quand celui des enfants de parents nés en France diminuait de 42 %. Un « processus de substitution », constaté par la démographe Michèle Tribalat. Celui-ci touche Paris et toute la petite couronne, mais il connaît la plus grande intensité en Seine-Saint-Denis, qui a perdu 110 000 enfants de deux parents nés en France quand le nombre des enfants d’au moins un parent étranger augmentait de 103 000 : « On ne cherche plus seulement à quitter son quartier, mais sa commune, voire son département. » Et la démographe de conclure : « Les déclarations sur la nécessité de casser les ghettos vont se heurter à cette dynamique, très difficile à renverser, d’autant que l’immigration étrangère continue à se concentrer sur l’île de France. L’hétérogénéité culturelle est aujourd’hui, par effet mécanique, liée à l’ancienneté des courants migratoires de populations à forte fécondité, très visible sur le bas des pyramides des âges. Elle va, dans les décennies à venir, "remonter" les pyramides des âges et se trouver renforcée latéralement, compte tenu de la démographie déclinante, par des flux migratoires persistants, en provenance des pays musulmans notamment. » Pour l’instant, la prophétie reste contenue dans les cadres démocratiques. Lors de la dernière élection présidentielle, le vote pour Ségolène Royal recueillait 80 % des voix dans les banlieues à forte concentration ethnique, tandis que, dans les petites communes pavillonnaires, Sarkozy raflait la mise. Cette émergence d’un vote ethnique rapproche la France de la situation américaine où le parti démocrate est le traditionnel réceptacle des votes noirs.
Cette polarisation ajoutant aux anciens critères sociaux des considérations ethnico-raciales, risque de prendre dans nos vieux pays
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