Mélancolie française
d’Europe une autre allure. Aux Pays-Bas, où manque la profondeur territoriale de la France, un tiers des Hollandais affirmaient, dans un sondage réalisé au lendemain de l’assassinat du leader politique d’extrême droite Pim Fortuyn, qu’ils songeaient à s’expatrier. En France, le départ pour Israël de populations juives a connu une brusque poussée avec la montée des violences antisémites en Seine-Saint-Denis autour de 2000.
L’islam n’est pas seulement une religion du salut, mais aussi une foi qui donne une dignité aux pauvres, une culture, un mode de vie qui régente chaque instant de l’existence, une civilisation. Un moment – entre 1800 et 1960 – ébranlé par la modernité occidentale conquérante, l’islam a recouvré son dynamisme identitaire, après avoir replongé dans sa source originelle depuis la révolution iranienne ; il a modernisé son message « en le déterritorialisant – une « contre-mondialisation » –, renouant ainsi avec ses origines universalistes et conquérantes.
L’islam est désormais un marqueur identitaire qui efface tous les autres. Les nationalismes arabes ont été balayés par leurs échecs économiques, géostratégiques – face à Israël – mais surtout par la vague islamique. En France aussi. Florence Bergeaud-Blacker, sociologue à l’unité d’anthropologie de l’université d’Aix-en Provence, constate ainsi qu’« être musulman devient le premier identifiant, celui que l’on classe avant toutes les autres appartenances. Une étude réalisée en 2000 dans des écoles de Marseille et de Lille a très bien montré ceci : chez les jeunes d’origine maghrébine, on se dit musulman avant de se dire garçon/fille, français ou marseillais, etc. ».
De nombreux signes marquent la prégnance de cette identité. La vogue persistante des prénoms musulmans, Mohamed en porte-drapeau, est la plus impressionnante. Jusqu’à un ministre de la République française, Rachida Dati, incarnation pourtant flamboyante de l’assimilation à la française, qui prénomma sa fille Zohra. Près de deux mille enfants ont été prénommés Mohamed en France en 2006 ; Mohamed est le premier prénom donné à Bruxelles, le second à Londres, après Jack. Les concurrents de Mohammed, un Ryan par exemple, manifestent non un désir de dissolution dans le maelström français, mais plutôt une volonté d’affirmer une identité arabe modernisée dans un monde globalisé.
Les musulmans ne furent ni les seuls ni les premiers à arborer les prénoms de leurs enfants en étendard identitaire. Tout a commencé dans les années 1960, avec une génération en quête de racines, retournant qui à sa celtitude, qui à sa judéité. Et les Yohann, et les Sarah de fleurir tels crocus au printemps. Les étrangers n’ont fait que suivre une mode venue de France, ignorant la loi de 1972 qui, reprenant des textes de 1965, encourageait la « francisation » des prénoms, jusqu’aux patronymes, lors de la naturalisation. En 1981, l’État socialiste interdisait aux préfets d’opérer une francisation forcée lors de l’inscription des enfants à l’état civil. Au nom de la liberté individuelle et du respect des « racines ». En 1993, la loi entérinait le renoncement de l’État. Il devenait interdit d’interdire un prénom qui n’était pas dans le calendrier. Une fois encore, la logique individualiste du droit (romain et napoléonien) était subvertie par une logique collective identitaire. Entre Mohamed et Kevin, entre islamisation et américanisation, les prénoms des enfants « français » marquaient avec éclat la déchristianisation et la défrancisation de notre pays.
Le retour d’un islam identitaire dans les jeunes générations est le signe tangible de l’affrontement entre deux universalismes égalitaires, le français et l’islamique. Cette convergence égalitaire explique d’ailleurs sans doute la fascination de nombreux musulmans pour la Révolution française au XIX e siècle à partir de l’expédition d’Égypte de Bonaparte, et les nombreuses conversions à l’islam que l’on peut constater aujourd’hui dans toutes les banlieues françaises. La promesse égalitaire française, minée dans la mondialisation par les injonctions inégalitaires venues des pays anglo-saxons, résiste moins bien à l’assaut de sa rivale islamique.
« J’ai commencé par l’école coranique, comme tout le monde. Mais, ensuite, c’est notre père qui
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