Même les oiseaux se sont tus
réfléchir?
– Je ne pense pas vouloir suivre de cours. J’aimerais mieux en donner.
Le père Villeneuve la regarda, surpris. Ce faisant, il fit évidemment une embardée et éclata de rire.
– J’ai l’impression que Zofia a travaillé très fort.
– Élisabeth aussi.
Jan avait répliqué du tac au tac. Il savait combien sa sœur avait passé d’heures, recluse dans sa chambre, à s’exercer interminablement, ne s’arrêtant que pour sillonner les rues de Cracovie à la recherche de l’appartement où elle recevrait un cours; pour s’occuper d’Adam; pour assister sa mère auprès de ses élèves; pour suivre les leçons de musique de sa mère ou de culture générale de son père. Le père Villeneuve s’excusa de sa maladresse avant de lui faire savoir que, sielle voulait enseigner, il lui faudrait passer un examen. C’était ainsi que se faisaient les choses. Élisabeth lui répondit qu’elle n’avait aucune objection. Le père Villeneuve annonça ensuite à Jan qu’il l’avait inscrit comme pensionnaire au collège de Saint-Boniface.
– Tu accuses beaucoup de retard mais je sais aussi que tu peux te rattraper rapidement et facilement.
Jan se pinça les lèvres, semblant davantage préoccupé par ses ongles que par la conversation. Le père Villeneuve ne comprenait rien.
– Je ne veux pas.
Cette fois, ce fut la réaction d’Élisabeth qui ne se fit pas attendre.
– Voyons, Jan, il faut que tu retournes aux études. Tu sais très bien que c’est ce qu’auraient voulu papa et maman.
– Je sais, mais je ne veux pas.
Le père Villeneuve était absolument dérouté. Il avait été tellement heureux de pouvoir l’inscrire malgré son retard académique et l’année scolaire déjà entamée.
– Admettons que je te laisse choisir, qu’est-ce que tu ferais?
Jan prit une profonde inspiration. Il regarda sa sœur, comprenant mal qu’elle ne devine pas ses raisons.
– Je travaillerais dans une ferme.
– Dans une ferme!
Élisabeth fut stupéfaite. Jamais elle n’aurait pensé une telle chose. Jan était un musicien extraordinaire et il n’avait jamais eu d’aptitude pour devenir cultivateur. Le meilleur de la famille, celui dont les mains pouvaient se changer en binette, en truelle, en râteau ou en pelle, c’était Jerzy et non Jan.
– Mais pourquoi, Jan?
– Parce que.
Il se tut et le père Villeneuve lui tapota gentiment l’épaule, voulant lui signifier qu’ils en reparleraient.
Élisabeth s’était imaginé que les Dussault seraient âgés. Elle fut surprise de voir qu’ils n’avaient aucun cheveu blanc, aucune ride et que leur âge devait se situer entre trente et quarante ans. Elle avait du mal à mettre un âge sur les têtes canadiennes. La rencontre fut cordiale et les Dussault parurent enchantés malgré la surprise de M me Dussault en apercevant Élisabeth. Après avoir échangé quelques politesses, les Dussault entrèrent dans le vif du sujet. Ils attendaient d’elle qu’elle réponde à la porte aux heures de consultation du médecin, entretienne la maison et s’occupe de leurs deux enfants durant l’absence de leur mère.
– Je travaille à toutes sortes d’heures. Parfois même la nuit.
– Que mon mari soit là ou non, nous soupons à six heures.
– Est-ce que je dois faire les repas?
– Non, à moins que vous ne le vouliez. Je pourrai quand même vous demander de m’aider à l’occasion et de faire quelques achats. Quant aux enfants, ils doivent être couchés au plus tard à sept heures pour le plus jeune et à sept heures et demie pour l’autre.
Élisabeth s’enquit de leur âge.
– Philippe a sept ans et Grégoire, cinq.
Philippe était à peine plus âgé que ne l’aurait été Adam. Élisabeth en fut extrêmement chavirée, aussi s’excusa-t-elle avant de sortir du parloir et de se diriger vers la salle de bains où elle se trempa la figure dans l’eau glacée autant pour noyer le choc que pour seredonner un peu de vie. Les Dussault furent étonnés par son départ précipité mais le père Villeneuve les calma d’un petit signe de la main.
– Ces jeunes ont vécu des choses que nous pouvons à peine imaginer. Élisabeth et son frère ont marché pendant plus de six mois avant de retrouver un semblant de liberté. Ils ont tout perdu, vous savez.
Le docteur Dussault s’inquiéta des séquelles possibles d’un tel périple sur la santé d’Élisabeth alors que M me Dussault hocha la tête, se demandant si
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