Même les oiseaux se sont tus
plustard, Élisabeth à ses côtés. Elle était vêtue d’une robe blanche et rose et portait une couronne de fleurs dans les cheveux. Jan comprit, se leva et alla rejoindre sa sœur. Villeneuve prit la parole au moment où Élisabeth serrait la main de son frère.
– Élisabeth m’a écrit pour me demander de bénir son mariage. Elle m’a dit que si on pouvait baptiser un bébé mort-né, prononcer un Requiem bien après le départ des âmes, il m’était certainement possible de bénir un mariage d’amour déjà célébré. J’ai longuement réfléchi. Je me suis dit que si Élisabeth avait porté un enfant de son mari, on lui aurait reconnu l’existence d’un père. On lui aurait même donné son nom.
Le père Villeneuve était visiblement ému. Jan plongea la main dans sa poche et étreignit les lunettes de son père.
– Un instant.
Jan mit les verres sur la balustrade, posés dans le mouchoir de Favreau, le souvenir du regard de Tomasz dirigé vers son ami et ses enfants. Villeneuve les reconnut et toussota, ne tentant pas de cacher son chagrin. Il reprit son petit discours. Élisabeth, elle, pleurait à chaudes larmes, mais ses larmes, justement, étaient chaudes et bonnes. Il n’y avait que Jan qui semblait ne pas avoir le cœur à l’émotion.
– Jan, Élisabeth m’a demandé dans sa lettre de reprendre la formule que tu avais prononcée pour bénir leur mariage. Alors, je le fais. «Devant la lune et les étoiles filantes, devant Dieu, devant Tomasz, Zofia et Adam», acceptes-tu toujours, Élisabeth, de prendre Marek pour époux et de l’aimer jusqu’à ta mort avant d’aller le retrouver?
– Oui.
– Je te bénis.
Élisabeth réenfila l’alliance de bois que Marek lui avait glissée au doigt et la baisa tout doucement. Jan semblait un peu perplexe, trouvant que sa sœur avait une drôle de façon de montrer qu’elle s’était remise de la mort de Marek, mais il ne put que constater qu’elle n’avait jamais été aussi jolie qu’en veuve blanche.
– Maintenant, nous allons entendre la messe de Requiem pour le repos des âmes de Tomasz, de Zofia, de Jerzy, d’Adam et de Marek.
– Et de M. Porowski.
– C’est vrai. Il doit être heureux de voir que vous ne l’avez pas oublié.
Le père toussota encore avant de continuer un semblant d’homélie.
– Même si j’ai, moi aussi, de la difficulté à comprendre les intentions de Dieu quand je prononce tous ces noms, il faut que je me réjouisse de vous savoir avec moi. C’est là le dessein de Dieu.
Si le vent avait soufflé plus fort, peut-être auraient-ils tous entendu Jerzy demander à la jeune fille assise devant lui dans le train reliant Halifax à Montréal si elle lui jurait que l’air allait se réchauffer, que la neige allait fondre, que sous la glace il y avait un fleuve et que la verdure allait cacher la nudité des arbres et recouvrir les champs.
Quatrième temps
1947-1949
34
Le train avait quitté Montréal depuis longtemps lorsque Jerzy apprit qu’il était rendu en Ontario. Il regarda maintenant la blancheur avec plus d’intérêt, ayant choisi, avant son départ d’Europe, le sud de cette province pour s’établir. On lui avait dit qu’on y pratiquait la culture des arbres fruitiers, surtout des pêchers. Il avait longuement réfléchi avant de prendre sa décision. Il n’avait pas voulu des Maritimes, ne connaissant rien à la pêche ni aux poissons. Il n’y avait eu que la culture de la pomme de terre qui l’avait attiré, mais il n’avait pas eu envie de se sentir dans la périphérie d’un pays aussi grand. Il n’avait pas non plus retenu le Québec, malgré ses services pour immigrants catholiques, malgré aussi la possibilité d’avoir une belle terre noire et fertile entre Montréal et les États-Unis. N’eût été son immersion dans la culture anglo-saxonne durant les trois dernières années, il aurait peut-être aimé s’installer près du fleuve, mais maintenant il ne s’y serait pas senti à l’aise. La côte du Pacifique l’avait attiré sérieusement, mais de penser qu’il aurait été à un demi-tour de terre de Cracovie lui avait fait craindre de perdre pied et de ne jamais se retrouver. Alors, il avait choisi le sud de l’Ontario, sachant qu’il aurait des lacs immenses à proximité, que ces lacs étaient soudés au fleuve et que le fleuve serait une espèce de cordon lereliant directement au continent européen en déversant son eau dans l’Atlantique. Il
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