Même les oiseaux se sont tus
tourner vers elle.
– Tu as décidé de diriger ton destin, Anna?
Anna le regarda, feignant de ne rien comprendre. Puis, la canine brillant dans la nuit, elle sourit en hochant la tête.
– Je me suis dit qu’il était dommage de penser que le 24 juin serait toujours une journée de deuil. Un si beau jour! C’est en accompagnant l’agonie de mon père que j’ai préparé ma couronne.
– Et tu dis que tu n’es pas polonaise?
– Je ne savais pas que tu l’attraperais...
– Je l’ai ramassée et je vais, moi aussi, être très polonais en respectant la tradition.
Jerzy s’éloigna d’Anna, se passa les doigts dans les cheveux pour les placer un peu et se racla la gorge.
– Anna, est-ce que ça te plairait d’être la femme d’un Polonais toqué et boiteux? Accepterais-tu de parler polonais pour tous les mots d’amour? Est-ce que tu voudrais partager la vie de l’orphelin que je suis?
Anna chuchota sa réponse en polonais.
Le cercueil avait été refermé et Jerzy s’était permis d’être aux côtés d’Anna. On ne lui avait pas offert de porter le cercueil, sachant que sa claudication empêcherait celui-ci d’être de niveau. Jerzy avait souri intérieurement, imaginant qu’il aurait pu être porteur et, de ce fait, faire bondir le corps de M. Jaworski sur les parois de sa prison d’infinitude. Il pensait que des cœurs sensibles auraient pu imaginer entendre Jaworskifrapper pour échapper à l’éternité. Ses pensées rattrapèrent le silence de la pièce et, comme les autres, Jerzy suivit le défilé. On tourna la bière pour permettre au défunt de sortir de chez lui les pieds devant. Avant de passer la porte, les porteurs firent une halte et heurtèrent trois fois le cercueil contre le seuil. Anna se pencha pour chuchoter à l’oreille de Jerzy qu’elle espérait vraiment que son père ait laissé derrière lui les difficultés du quotidien.
– Ce serait trop bête d’avoir choisi de mourir s’il ne se sent pas mieux.
Le soleil du 26 juin était extraordinairement réconfortant et Jerzy ne put s’empêcher de sourire à la vie, même s’il marchait derrière la mort. Le profil d’Anna, qui avait la tête recouverte d’une mantille de dentelle noire, lui donnait des pensées incompatibles avec la cérémonie du chagrin.
Le défilé se dirigea vers un des bâtiments de M. Jaworski qui ressemblait à une toiture à la Mansart posée à même le sol. Ils récitèrent une prière à l’extérieur avant d’y pénétrer et de promener le cercueil entre le tracteur et les charrues, en frôlant les bidons d’essence. Au mur, les bineuses, les pelles, les pioches et les râteaux semblaient transformés en cierges. Quelques cordes que Jerzy n’avaient pas utilisées avaient été patiemment roulées et rangées dans un coin, toujours reliées à leurs piquets. Dans l’angle opposé, des échelles pendaient aux clous et des seaux, des cuves et des bacs d’eau jonchaient le sol. Une immense boîte de bois, appuyée contre un mur, avait été recouverte d’une étoffe décolorée.
– Est-ce que je t’ai dit que c’est avec ce coffre que mes grands-parents sont arrivés de Pologne et qu’il contenait tous leurs biens?
Jerzy fit un signe d’assentiment avant de se rentrer la tête dans les épaules, forçant Anna à l’imiter. Des hirondelles, dont les nids étaient collés aux joints des poutres du plafond, tournoyaient dangereusement autour des têtes. Le cortège funèbre sortit. Le défilé s’approcha d’un des jardins, celui-là même que Jerzy avait désherbé deux jours plus tôt, et tous se recueillirent devant les rangs bien droits, les lés de guenilles battant au vent comme des fanions et les trois épouvantails dont un portait une robe ayant visiblement appartenu à Anna.
Jerzy, ralenti par sa marche toujours pénible, fut le dernier arrivé à l’église et le dernier à s’approcher de la fosse autour de laquelle la petite foule des intimes s’était massée. Il s’approcha quand même d’Anna qui, au bras de sa mère, l’avait précédé. Ensemble, ils regardèrent descendre la bière, les pieds du mort pointés vers l’est, comme si le disparu voulait indiquer aux survivants la direction du soleil levant, essence même de la joie et de leur vie à tous.
40
Le deuxième groupe d’élèves venait de partir et Élisabeth leur fit des signes d’au revoir jusqu’à ce qu’elle les perde de vue. Elle rentra dans la maison et s’empressa de
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