Même les oiseaux se sont tus
C’était exactement ce qu’elle avait toujours eu l’intention de faire.
Élisabeth n’avait pas réfléchi avant de répondre mais elle savait que les Dussault n’auraient heureusementpas besoin de ses services à Noël puisqu’ils ne recevraient pas et qu’ils prévoyaient s’absenter toute la journée. Elle avait invité Jan mais il ne lui avait pas encore fait connaître sa réponse. Elle espérait profondément être avec lui.
Le père Villeneuve arriva sans s’annoncer. Élisabeth était à faire le ménage du salon et cacha mal sa gêne d’être prise en couvre-tout, un fichu sur la tête pour se protéger des poussières.
– M me Dussault est-elle là?
– Non. Elle est partie à l’école Provencher. C’est la remise des bulletins de Noël.
– Tant pis. Je suis passé rapidement pour te dire qu’il y a un changement au programme et que je vous attends, toi et Jan, pour le souper de Noël.
Élisabeth eut certainement l’air assez ennuyée pour que le père Villeneuve s’inquiète sérieusement.
– Tu es mal?
– Non, triste. J’ai promis d’aller dans les familles de mes six élèves et j’avais pensé souper...
Le père Villeneuve ne la laissa pas terminer. Il avait compris qu’elle voulait être seule avec son frère. S’il s’était lui-même réjoui à la pensée d’une réunion, il concédait qu’un peu d’intimité entre ces deux complices ne serait pas un luxe. Il s’excusa poliment, promit de téléphoner le jour de Noël et sortit sous le regard chagriné d’Élisabeth qui se demanda si elle ne devait pas lui crier qu’elle acceptait.
Noël arriva rapidement. À peine Élisabeth avait-elle fini de préparer un repas polonais pour elle et son frère que celui-ci était devant elle, le visage souriantmalgré une apparente blessure au-dessus de l’arcade sourcilière.
– Que je suis contente de te voir! Que je suis contente!
Elle passa un doigt sur la plaie.
– Ça fait mal?
– Plus maintenant. J’ai la tête dure.
– Tu t’es battu?
– Évidemment.
Il avait éclaté de rire et Philippe et Grégoire se suspendirent à ses bras pour s’y balancer comme des battants de cloche.
– Nous, on s’en va chez mon oncle.
– Nous, on s’en va chez mon oncle puis chez ma tante aussi.
– Pourquoi est-ce que vous ne venez pas avec nous?
– Je vous ai déjà tout expliqué ça.
M me Dussault arriva elle aussi, serra la main de Jan et l’embrassa. Jan ne recula pas devant la menace de son rouge à lèvres écarlate et luisant. Elle eut le geste habile, faisant un sonore baiser à côté de son oreille, ne touchant pas à sa peau. Le docteur vint enfin se joindre au groupe, se planta devant sa femme, penaud, et lui demanda de nouer son nœud réfractaire. Les Dussault enfilèrent bottes et manteaux et partirent, aussi bruyants que s’ils avaient été une classe entière. Élisabeth ne reconnaissait pas la femme qu’elle avait vue si tendue le jour de Noël de l’année précédente. Élisabeth comprit qu’elle était ainsi quand elle recevait trop de gens. M me Dussault fut la dernière à sortir, mais, au moment de refermer la porte, elle revint d’un pas, l’air un peu gênée.
– Élisabeth, j’ai déposé sur ton lit des vêtements pour Jan. Comme neufs sauf que mon mari trouvait qu’il leur manquait quelques trous de ceinture.
Avec un petit rire qui résonnait drôlement dans la buée, elle quitta une Élisabeth extrêmement partagée et un Jan qui se demandait s’il devait faire une colère et refuser ou dire merci et accepter. Il n’hésita presque pas, n’ayant pas envie de détester en ce jour de Noël.
– Est-ce que vous m’offrez ça parce que mes pantalons sont trop courts ou parce que mes jambes sont trop longues?
– Les deux.
Élisabeth s’envola vers la chambre, immédiatement suivie de Jan qui avait éclaté de rire. Elle sentit sa poitrine se gonfler de plaisir à entendre son frère s’esclaffer. Ils essayèrent les vêtements, qui métamorphosèrent complètement Jan.
– Les filles de Cracovie le disaient, aussi, que tu étais beau.
– Les filles de C...
– Je te jure!
Élisabeth réussit à le convaincre de prendre un long bain et Jan s’y laissa glisser avec volupté dès qu’elle eut refermé la porte. Il en ressortit et se heurta à une tortionnaire qui faisait claquer la paire de ciseaux qu’elle tenait fermement.
– Vous avez demandé un figaro, monsieur?
Après l’avoir obligé à se raser,
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