Même les oiseaux se sont tus
Sauf que nous n’avons plus de poux, nous sommes bien habillés, nous ne recevons plus d’argent dans notre chapeau parce que nous ne passons plus le chapeau, et on nous arrose d’un whisky blond comme un Polonais...
– Mais nous sommes respectés, Jan.
– C’est vrai. Nous sommes respectés, et toi tu es même respectable.
– Toi aussi, Jan.
– Pas encore. Mais j’ai ma petite idée.
Là-dessus, il n’avait plus parlé et ils étaient enfin arrivés chez Jeanne, la dernière mais non la moindre des élèves d’Élisabeth.
La maison était remplie de parenté et la fête battait son plein, la famille de Jeanne comptant plusieurs musiciens. Élisabeth et Jan se regardèrent et furent entraînés dans un tourbillon de chaleur, de rires et deplaisir. Deux des oncles étaient violoneux, une tante jouait du piano, tous avaient des cuillers et les voix qui osaient un air étaient fort belles à entendre. Les cantiques succédaient aux chansons païennes et parfois grivoises. La famille réussit quand même à se calmer pour que Jeanne puisse faire son petit récital et elle fut portée sur les épaules des hommes comme si elle avait mis Joe Louis hors de combat. D’un simple hochement de tête, Jan et Élisabeth décidèrent de ne pas jouer, craignant de rafraîchir davantage l’atmosphère de la maison dont la porte ne cessait de s’ouvrir pour laisser entrer de nouveaux visiteurs.
– Joyeux Noël, Élisabeth!
Elle se trouva face à face avec son soupirant. Elle espéra que la chaleur de la maison avait caché sa surprise rose et jeta un coup d’œil en direction de Jan qu’elle vit sourire d’un air moqueur en lui portant un silencieux toast. Jeanne était déjà à ses côtés.
– Mademoiselle, je vous présente mon plus vieux et mon plus beau cousin...
– Jeanne!
– C’est ce que tout le monde dit... Mon plus beau cousin, Étienne.
Élisabeth et Étienne se serrèrent la main et, Noël le permettant, Étienne osa lui faire la bise. Élisabeth, qui avait trempé ses lèvres dans six verres d’alcool, fut étonnée de ne pas avoir offert de résistance. Encore une fois, elle regarda son frère qui semblait s’amuser franchement de son embarras. La mère de Jeanne les invita à se joindre à la troisième tablée. Élisabeth allait refuser quand Jan accepta avec ravissement. Elle s’approcha de lui pour essayer de le raisonner.
– Jan, je nous ai fait un souper polonais.
– Oui, mais nous serions tout seuls. Ici, c’est plein de monde. Une vraie fête qui ressemble à mes souvenirs. Élisabeth acquiesça et, le repas terminé, elle fut entraînée dans la danse par Étienne. La soirée se continuait en rires un peu trop arrosés et Élisabeth se demanda quand Jan montrerait des signes d’intolérance au whisky. On annonça que tous les enfants de moins de douze ans devaient monter dans les chambres, dix heures ayant agité le pendule de l’horloge. Les pleurs succédèrent aux grincements de dents. Jeanne fit une dernière tentative.
– Je vais aller me coucher seulement si M lle Pawulska joue du violon pour nous endormir.
Élisabeth, qui aurait refusé avant le souper, ne demanda pas mieux, sachant qu’elle en profiterait, aussitôt le violon rangé, pour prendre congé de ses hôtes et rentrer avant que les Dussault ne reviennent. La demande de Jeanne fut bien accueillie de toutes parts. Élisabeth demanda à Jan de sortir son violon et craignit secrètement qu’il ne puisse plus en jouer, mais elle se trompait. En moins de trois minutes, les cris de la fête s’étaient assourdis et Élisabeth pouvait entendre les chuintements des cœurs qui battaient la mesure.
Ils rentrèrent, escortés par Étienne qui ne semblait plus avoir l’énergie de survivre à sa joie d’être avec Élisabeth et à son ébahissement devant sa beauté et son énorme talent. Ils se quittèrent en se serrant la main.
– Je pourrais vous inviter au cinéma?
– J’y réfléchirai.
Jan la regarda, trouvant que sa sœur se faisait minaudière. Il haussa les épaules d’amusement et sourit béatement, ravi qu’elle ait contredit toutes ses pessimistesprédictions. Sa sœur était heureuse et semblait avoir éloigné son terrible fatum. Ils entrèrent gaiement, posèrent leurs violons et Élisabeth se dirigea vers la cuisine.
– Tu vas au moins prendre un morceau du dessert que j’ai fait.
– Tu penses que moi je pourrais dire non à de la nourriture?
Élisabeth ricana et sortit le
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