Même les oiseaux se sont tus
battre le cœur à une vitesse affolante. Elle eut l’impression que le teint coquelicot avait déteint sur elle.
– Excusez mon impolitesse, mais je veux quand même vous dire que je n’ai jamais vu ici une fille aussi belle que vous.
Élisabeth s’arrêta net. Elle belle? Jamais on ne lui avait dit une telle chose. Même les miroirs avaient toujours été muets à ce propos. Pendant une fraction de seconde, elle essaya de réentendre Marek. Non. Même Marek n’avait pas dit cela. Et pour cause. Élisabeth frissonna en se remémorant le choc qu’elle avait ressenti lorsque, à son arrivée à Amberg, elle s’était vue dans une glace. Elle belle?
– Non, on ne m’a jamais dit cela.
Elle avait parlé d’une voix rocailleuse qui semblait tout juste déliée d’un vœu de silence. Le jeune homme hocha la tête et elle se demanda s’il essayait de lui faire comprendre son étonnement ou son plaisir d’apprendre qu’il était le premier. Elle n’essaya pas de trouver de réponse. Ils marchèrent à travers la fumée d’un feu de feuilles brûlant tout près de la bordure du trottoir et elle s’empressa de toussoter pour effacer le silence.
– J’aime mieux les sentir de loin.
– Ah bon!
Elle aperçut enfin la maison et salua le jeune homme, qui fut pris au dépourvu par son imminente volatilisation.
– Est-ce que je pourrais vous revoir?
– Je ne pense pas.
Décontenancé, il n’ajouta rien. Élisabeth entra à la hâte et s’empressa de claquer la porte.
– C’est toi, Philippe?
– Non, je m’excuse, c’est moi.
Élisabeth déposa son livre. Un livre tout chaud qui sentait encore l’encre et la colle. M me Dussault avait insisté pour qu’elle le lise parce que son auteur était une dame qui, jeune, avait habité la rue Deschambault. Élisabeth venait de terminer
Bonheur d’occasion
et songea à l’écheveau inextricable que constituaient toutes les histoires d’amour. Elle allait s’abandonner au sommeil lorsqu’elle revit les traits de son soupirant. Elle chassa rapidement cette image, éteignit la lampe, se recueillit quelques instants pour souhaiter une bonne nuit aux siens, mais ne leur parla pas du jeune homme à qui elle n’avait même pas demandé son nom. Elle s’endormit en se demandant mollement qui pourrait le lui présenter.
La voix de Philippe la fit bondir hors de son rêve.
– Élisabeth! Maman s’inquiète. Tes élèves vont être ici dans dix minutes.
Élisabeth s’affola et descendit à la hâte placer les chaises de la salle de cours. Depuis le mois de septembre, elle avait six élèves qu’elle avait séparés en deux groupes. Son enseignement avait pris une importance qu’elle n’aurait jamais soupçonnée. Chaque samedi matin, elle vivait une sorte de bon mensonge, d’agréable Requiem et elle invitait tous ses fantômes à assister à son cours.
–
Adam, essaie de jouer moins fort. Piano. Pianissimo. Le violon est comme un petit enfant que l’on berce, Adam. Tu te souviens?
Élisabeth se laissa retomber les épaules. Si elle savait fort bien qu’elle ne se pardonnerait jamais lamort de son frère, elle sentait une inspiration lui venir directement de lui. Elle se hâta de placer son lutrin et d’accorder son violon.
– Élisabeth, maman fait demander si tu vas manger.
– Non, merci. Pas ce matin.
Grégoire fit la moue, ayant l’impression qu’elle disait toujours oui à Philippe et toujours non à lui.
Le cours fut aussi doux qu’un coup d’archet frotté sur l’arcanson. Élisabeth était ravie des progrès réalisés par ses élèves. L’heure terminée, elle eut une amère discussion avec les parents, qui voulaient absolument un récital de Noël.
– Je préférerais attendre une année. Pas pour moi mais pour eux. Je me souviens qu’il n’y a rien de pire que de faire grincer une corde et...
– Mais ce n’est qu’amusant.
– Pour vous peut-être, mais certainement pas pour Jeanne ou Edgar.
Les parents ne voulurent rien entendre. C’est en désespoir de cause qu’elle offrit d’aller les visiter le jour de Noël pour accompagner chacun de ses élèves.
– Ils ne joueront pas ensemble?
– Non. Pas cette année. Mais je peux faire faire à chacun d’eux une démonstration de son savoir.
– Vous viendriez le jour de Noël? Vrai?
– Vrai.
Les parents s’inclinèrent, disant qu’ils étaient bien prêts à attendre mais seulement jusqu’à juin. Pas toute une année. Élisabeth sourit.
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