Même les oiseaux se sont tus
force à m’étendre tous les après-midi. Je devrais être rentré au plus tard dans une semaine. Tu vas avoir besoin de moi pour la récolte des radis.
– Prends ton temps, je me débrouille.
Jan grimaça. Son frère, il en était maintenant certain, l’embauchait par devoir et non par nécessité. Anna commença à fouiller dans le sac qu’elle avait apporté et en sortit une laitue tendre et verte.
– La première, Jan. Tu vas goûter aux bons produits Pawulscy.
Jan sentit la laitue, en mâchouilla une feuille et la remit à Élisabeth qui alla la ranger à la cuisine.
– Tu serais étonné de voir à quelle vitesse les semis ont poussé, Jan. Tu te souviens du jardin de M. Porowski?
– Évidemment.
– Le mien a, ma foi, une meilleure terre. J’ai hâte de goûter au chou. J’espère qu’il sera juteux.
Jan se demanda s’il avait envie de goûter au chou et aux pommes de terre. La conversation tomba à plat. Jan ne savait comment rejoindre ce frère que la guerre avait plus qu’éloigné; elle l’avait repoussé. Élisabeth revint, un violon à la main.
– Regarde, Jerzy. Je l’ai fait remettre à neuf. On ne dirait pas qu’il a passé autant de temps sans jouer.
Jerzy examina l’instrument, apprécia la qualité du travail du luthier, en tira quelques mesures et le remit à sa sœur. Lui et Élisabeth avaient échangé leurs violons peu de temps après le mariage. Jerzy avait pleuré en retrouvant le sien ici au Manitoba. Quant à Élisabeth, elle avait même oublié la sonorité et la couleur du bois du sien. Jan regarda son frère tripoter l’instrument et il comprit que si Jerzy s’y attardait autant, c’était pour remplir le temps qu’il passait à son chevet. Il toussota et proposa de se lever pour qu’ils jouent une partie de cartes. Élisabeth le gronda gentiment, refusant qu’il se fatigue, même pour une dame de cœur.
– Mais, quand même, je ne suis pas à l’article de la mort, moi! J’ai envie de m’amuser un peu!
– Tu vas avoir tout l’été pour t’amuser, Jan.
– Ah non! J’ai l’intention de travailler, moi. Pas de m’amuser.
– Alors, profite de ta convalescence pour te reposer.
Jan bouda un peu. Son frère venait d’utiliser ce ton qui ne tolérait aucune réplique. Ce ton d’aîné que même Élisabeth respectait.
– Jerzy a raison, Jan. Il faut que tu reprennes des forces le plus rapidement possible.
Jan se redressa et se tourna pour replacer un oreiller. Anna et Élisabeth se précipitèrent toutes les deux pour l’aider.
– Laissez-moi faire, bon Dieu! Je suis capable de ramollir un oreiller tout seul!
– Nous sommes certains, Jan, que tu es capable de ramollir à peu près n’importe quoi, et n’importe qui.
Jerzy avait parlé avec une sèche ironie. Élisabeth et Anna laissèrent l’oreiller aux mains de Jan qui dévisagea son frère avec tellement de déception dans le regard qu’Anna se crut obligée d’intervenir.
– Excuse ton frère, Jan, mais nous t’avons trouvé ensanglanté, les jointures fendues, les poignets tordus, les esprits K.-O. et tu ne nous as jamais rien dit.
Le regard de Jan alla de sa belle-sœur à son frère pour s’immobiliser sur Élisabeth.
– Je voulais appeler la police…
– Je t’interdis, Élisabeth, de mêler la police à nos histoires de famille.
– Justement, Jan, ce ne sont pas nos histoires de famille. Ce sont tes histoires et nous ne comprenons pas ce qui t’est arrivé.
Jan serra les mâchoires, concentra son regard sur sa main garnie de croûtes, en gratta une et leva finalement les yeux.
– Il ne s’est rien passé. Je suis tombé, c’est tout.
Jerzy se leva d’un bond et sortit précipitamment de la chambre. Anna tenta de le retenir mais ne réussit pas. Jan les entendit descendre l’escalier. Il détestait le pas de Jerzy dans un escalier, craignant toujours qu’il ne déboule. Le pas d’aujourd’hui était plus précipité et il eut deux fois plus peur. Élisabeth le regarda longuement, hocha la tête de dépit et partit rejoindre Anna et Jerzy. Jan ne broncha pas mais, voyant que personne ne revenait, il sortit du lit et regarda par la fenêtre d’où lui parvenaient des voix. Jerzy était debout, la main sur la poignée de la portière de son automobile. Anna essayait de le retenir pendant qu’Élisabeth pleurait. Jan s’approcha davantage, le temps d’entendre Jerzy dire que son frère ne pensait qu’à lui et qu’il se foutait complètement de
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