Même les oiseaux se sont tus
nous avons des amis qui habitent rue Saint-André.
Devant le grand bonheur d’Élisabeth, Jan pensa que Jerzy pouvait se sentir exclu de leur vie. Il s’empressa de rassurer son frère en lui promettant de lui présenter les Favreau.
– Mais je suis certain que tu l’as vu.
– Tu me l’as déjà dit.
Élisabeth sourit à Jerzy, celui-ci lui ayant déjà raconté avoir eu, à un moment de sa vie, à choisir entre deux choses: faire la cour à Anna en marchant dans la rue Sainte-Catherine, ou parler à un groupe de Polonais venus dans une gare pour accueillir des réfugiés. Il avait opté pour la première et il savait maintenant que laseconde aurait probablement été préférable puisqu’elle aurait changé leurs vies à tous les trois.
«C’est bête, quand même. J’aurais pu au moins les saluer et votre M. Favreau m’aurait certainement parlé de deux Polonais qui jouaient du violon eux aussi.
– Oui, mais Anna?
– Anna? Ce ne sont pas ces deux minutes-là qui auraient changé quelque chose à notre vie. Je me sens un peu responsable de la souffrance de Jan.
– Tu n’as rien à voir là-dedans.
– Quand même.»
Ils sortirent de table et Élisabeth monta à l’étage chercher son bagage. Les Dussault étaient vraiment des gens exceptionnels et elle ne savait ce qu’il serait advenu d’elle si elle ne les avait pas rencontrés. Elle avait davantage l’impression d’être une nièce qu’une employée. Elle redescendit à temps pour voir le docteur examiner les mains de Jan.
– Tout a pourtant l’air complètement guéri.
– Oui, mais elles ne fonctionnent plus comme avant. Voyant l’inquiétude dans le visage de son frère, Jerzy tenta d’alléger l’atmosphère.
– Tu peux te gratter une oreille?
– Oui.
– Tu peux boutonner mais surtout déboutonner ta braguette?
– Oui, mais plus lentement…
– Donc, ce n’est pas grave. Un bon chrétien doit savoir ça.
Philippe et Grégoire s’amusaient des questions de Jerzy et commencèrent à en poser. Jan laissa de côté sa susceptibilité et répondit comme s’ils étaient des médecins.
– Tu peux te tremper les doigts dans la confiture?
– Oui.
– Tu peux tirer la languette du bouchon de lait?
– Oui.
– Tu peux te coincer les doigts dans une porte?
– Je pense que oui.
– Tu peux te mettre le doigt dans le nez?
– Grégoire!
M me Dussault l’avait interrompu pour la forme, tout le monde riant de sa question, même Philippe, quoiqu’un peu déçu de ne pas y avoir pensé avant son jeune frère. Le docteur suggéra à Jan de faire des exercices pour assouplir sa musculature et lui recommanda discrètement d’éviter d’utiliser ses poings pour quelque temps.
Élisabeth s’assit devant et se cala entre ses frères. Elle aimait les randonnées de nuit, surtout en juin quand le ciel n’achevait jamais de disparaître, donnant l’impression de vouloir assister à toutes les fêtes du feu. Ils approchaient de Saint-Norbert lorsqu’un camion, à la sortie d’une courbe, zigzagua un peu et les frôla, faisant grincer la tôle de l’aile arrière gauche de la voiture de Jerzy.
– Oh non! Anna nous attend.
Jerzy immobilisa l’automobile pendant que Jan sortait de son côté pour aller voir les dommages. Élisabeth, qui se sentait d’humeur euphorique depuis leur départ de Saint-Boniface, avait presque envie de rire. C’était toujours à eux qu’il arrivait des ennuis. Elle demeura néanmoins dans l’auto, gloussant en cachette en écoutant Jerzy parler avec l’autre conducteur. Ses rires s’étouffèrent rapidement lorsque le ton de laconversation monta. Elle jeta un coup d’œil dans le rétroviseur et vit que ses frères faisaient face à quatre individus qui avaient l’air un peu ivres. Elle se laissa glisser sur les fesses et se recroquevilla en souhaitant que personne ne l’ait vue. Jerzy s’était placé devant Jan, espérant lui servir de bouclier. Les quatre lascars le tenaient responsable de l’accrochage.
– Pas du tout. C’est vous qui m’avez frappé.
– Hé! Vous avez entendu l’accent?
Shit!
Moitié Polak, moitié
British
.
–Polak, hein?
– C’est vrai que vous êtes des bons batailleurs, les Galiciens?
Deux des individus se mirent les poings devant la figure, prêts à engager un combat. Jerzy sentit Jan frémir derrière lui. Il posa sa main à plat sur la cuisse de son frère, pour le calmer. Jan n’avança plus mais commença à parlementer en
Weitere Kostenlose Bücher