Même les oiseaux se sont tus
Jerzy?
– Oui. La façon dont Élisabeth l’a décrit m’a vraiment remis en mémoire un certain bombardement.
Ils arrivèrent à temps pour voir l’énervement d’Élisabeth qui portait sa première robe neuve, achetée avec son argent. Elle ne leur lança qu’un regard deplaisir et vaqua à ses nombreuses occupations, dont la principale consistait à calmer les enfants surexcités par la présence d’une vingtaine de spectateurs qu’elle avait assis dans la salle d’attente. Élisabeth avait utilisé toutes les chaises de la maison, ajoutant même celles de la salle à manger, ces dernières réservées aux personnes respectables et importantes. Moins de quinze minutes avant le spectacle, elle reçut un appel du père Villeneuve qui lui téléphonait son regret de ne pouvoir se déplacer.
– Une convocation de dernière minute à l’archevêché.
– À l’archevêché? Est-ce qu’on veut vous habiller de la pourpre cardinalice?
– Pas du tout. Il faut quand même que je sois évêque avant.
– C’est vrai. Alors, on veut peut-être vous introniser…
– Cesse de te moquer de moi, Élisabeth. Je voulais te souhaiter la meilleure des chances.
– Merci. Nous nous verrons bientôt.
Étienne arriva parmi les derniers, les bras chargés de fleurs. Trois roses se cachaient au milieu de fleurs sauvages et Élisabeth apprécia l’effort qu’il avait fait pour lui apporter une si jolie gerbe.
– Quelle bonne idée d’avoir mélangé les roses et les fleurs des champs!
M me Dussault offrit immédiatement de les placer dans un vase. Le spectacle commença avec une bonne dizaine de minutes de retard, toute la salle ayant attendu le retour du docteur, appelé d’urgence auprès d’un patient. Il était revenu à la hâte, le teint rougi par la température et par l’effort qu’il avait fait pour rentrerà l’heure. Dès qu’il se fut glissé sur une des chaises de la salle à dîner, Élisabeth s’installa debout devant ses élèves, le violon dans les mains. Elle se servit de l’archet comme d’une baguette et, aussitôt le tempo donné, joua avec les enfants.
Le récital dura le temps d’une centaine de mesures que les auditeurs écoutèrent religieusement. Les enfants allèrent s’asseoir avec leurs parents, dont certains avaient eu la délicatesse de leur apporter un petit présent. Élisabeth présenta ses frères qui vinrent se joindre à elle pour une pièce de plus de cent barres.
Ils prenaient toujours plaisir à jouer, sauf qu’aujourd’hui Élisabeth et Jerzy jetaient des regards inquiets sur Jan. Sa main gauche agonisait sur les cordes et ses doigts ne parvenaient pas à bien tenir l’archet. Élisabeth ralentit pour lui venir en aide, mais Jan butait encore, allant parfois jusqu’à détonner légèrement. Heureusement pour sa fierté, seuls son frère et sa sœur perçurent ses difficultés.
Élisabeth fut applaudie avec chaleur. Jan s’isola dans un coin, l’air maussade. Jerzy, cigarette aux lèvres et tenant deux verres, s’approcha et lui en offrit un.
– Il faut attendre que tes mains guérissent complètement, Jan.
– Elles sont guéries.
Jan avait tellement insisté sur le «sont» que Jerzy sentit vibrer sa tristesse jusque dans ses doigts à lui. Ils burent lentement, portant un toast silencieux au succès de leur sœur. Les derniers enfants quittèrent et Élisabeth, aidée par Jan, Philippe et Grégoire, remit de l’ordre dans la pièce.
– C’était vraiment un beau récital, Élisabeth.
– Vraiment beau.
Grégoire, comme toujours, répétait tout ce que disait son frère. Cela inquiéta Jan qui demanda à Jerzy s’il avait été comme ça dans son enfance.
– Non. J’imagine que notre différence d’âge était trop grande.
Élisabeth fut enfin libre de partir avec ses frères mais les Dussault insistèrent pour qu’ils restent à souper. Ils refusèrent le plus poliment possible, mais, devant l’air supplicié d’Élisabeth, Jerzy se résigna à faire un appel interurbain pour aviser Anna de leur retard. Ils mangèrent dans la salle à dîner et M me Dussault les fit rire avec ses histoires de jeunesse qui avaient Montréal pour décor. Du coup, Jan fut tout excité et ne cessa de lui poser des questions.
– Je suis à Saint-Boniface depuis presque quinze ans. Je ne peux pas te parler du Montréal d’aujourd’hui.
– Connaissez-vous la rue Saint-André?
– Oui. Je n’habitais pas très loin.
– Élisabeth et moi,
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