Même les oiseaux se sont tus
chuintant et chuchotant en polonais.
– Ils sont quatre, on peut en prendre chacun deux…
– Jan, je ne veux pas me battre. J’habite ici et toi aussi.
– Ils ne sont pas de Saint-Norbert…
Pas grave. Les nouvelles courent vite.
Jan et Jerzy se turent, tous deux effrayés par la colère que les quatre compères dégageaient. Ils avaient dû reculer pour éviter un crochet lancé violemment. Maintenant, trois des individus avaient les poings levés, le quatrième regardant l’automobile, intrigué.
– Hé! Il y a quelqu’un dans leur auto. Ça bouge.
Il courut à la voiture et en extirpa Élisabeth, d’abord par un bras puis par les cheveux.
– Venez voir la petite Polonaise qui traînait là.
Jan bouscula Jerzy et se plaça devant les trois hommes, les poings levés devant son visage.
– Non, Jan!
Élisabeth venait de lui ordonner de ne pas avancer. Elle continua en polonais, exhortant ses deux frères au calme. Elle était terrorisée, l’homme lui tirant toujours les cheveux. Elle disait à ses frères espérer que l’ivresse ne noyait pas toute intelligence.
– Ne te fie pas à ça, Élisabeth. J’ai des côtes qui disent le contraire.
– Jan, reste tranquille.
Jerzy lui chuchota dans le dos mais Jan n’eut pas le temps d’acquiescer. Il venait de recevoir un terrible direct qui le fit tomber sur son orgueil.
– Putain de choléra!
Quoiqu’un peu étourdi, il se releva rapidement et entreprit de répliquer. Il y réussit tant bien que mal tandis qu’Élisabeth s’était tue de peur et que Jerzy, tout boiteux qu’il fût, tenait deux combattants en respect, 1’œil injecté de colère.
–
Come on
, le Polak. Montre-nous ça.
– Ça va faire mal, un coup de poing de boiteux.
Ouch!
Jan, encore une fois, se retrouva par terre. Élisabeth fut tirée devant ses frères.
– Regarde tes amis. Dans cinq minutes, vous allez être beaux à voir. Tous les trois. Mais toi, c’est pas dans la figure que ça va couler. On a un autre traitement pour les belles Polonaises.
Trois vils rires ponctuèrent et encouragèrent la menace. Élisabeth eut un regard de victime, si affolé etimpuissant que Jerzy cria en polonais toute la révolte qu’il avait réussi à contenir.
– Courage, Jan. Tu as peut-être appris à te défendre, mais moi, putain de mère, j’ai fait l’armée et j’ai appris à me battre. Même avec une jambe en moins.
Élisabeth eut à peine le temps de le voir frapper les trois hommes, qui se retrouvèrent sur le sol, tous amochés. Celui qui la tenait lâcha prise et prit ses jambes à son cou mais son ivresse et la rapidité de Jan l’empêchèrent d’aller loin. Jan le traîna de force devant Jerzy qui l’attendait.
– À vous, monsieur mon frère.
– Merci.
Pendant que Jan riait d’un immense plaisir, Jerzy décocha un coup de poing si violent que même Jan recula sous le choc. Élisabeth, que la peur avait abandonnée, commença à rire de nervosité elle aussi, et Jerzy, sa crainte et sa furie calmées, en fit autant. Ils s’assurèrent que tous avaient repris conscience avant de remonter dans l’auto.
– Je ne savais pas que tu savais te battre comme ça, Jerzy.
Jerzy regarda son frère mais ne répondit pas. Il avait repris tous ses sens et regrettait son emportement, mais encore plus le plaisir qu’il y avait pris. Un militaire, même réserviste, n’avait pas le droit d’user de sa formation. Un frère aîné se devait de donner l’exemple à son puîné, surtout quand ce dernier avait le poing trop vif.
– Merci, Jerzy. Je sais que c’est pour moi que tu as fait ça.
Jerzy regarda Élisabeth et lui sourit de soulagement. Elle avait fait fondre ses scrupules. Jan brandit deuxénormes poings, tous les deux ensanglantés. Après le récurage des casseroles à Cracovie, le froid des Carpates, les coups de Bergeron et les doigts écrasés, cette rencontre venait de sonner le glas.
– J’ai l’honneur de vous apprendre que ma carrière de violoniste est terminée.
Leur plaisir fit place à la révolte.
47
Le mois d’août 1949 tirait à sa fin. Le soleil avait daigné se remontrer derrière une ligne d’horizon estompée par la brume. Jerzy se leva et s’empressa de se débarbouiller avant de revenir embrasser la chute des reins d’Anna et de partir discrètement au fond d’un champ avec son violon. Il s’éloignait toujours de la maison pour éviter à Jan d’entendre la complainte des cordes, prière dominicale que
Weitere Kostenlose Bücher