Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
Vom Netzwerk:
vendre les produits de la ferme de son frère. Ils prirent tous le souper à la hâte, Élisabeth et Étienne devant rentrer à Saint-Boniface, Villeneuve à Winnipeg. Anna s’était levée pour chercher le café lorsque Villeneuve leur demanda quelques minutes d’attention. Jerzy ressentit un malaise alors qu’Élisabeth semblait plus intriguée qu’autre chose. Quant à Jan, il ne se formalisa pas de la requête, en ayant repris l’habitude depuis qu’il vivait avec Jerzy. Son père avait été pareil et il lui semblait que les aînés se prévalaient toujours de ce privilège de demander l’attention générale soit en toussotant, en tapant dans leurs mains ou en frappant un verre de leur couteau. Villeneuve, lui, avait toussoté.
    – Je voulais que vous sachiez à quel point j’ai aimé transporter les cageots de pommes de terre, aujourd’hui.
    Les Pawulscy se regardèrent, amusés par cet aveu de l’évidence. Villeneuve toussota de nouveau et Jan comprit qu’il avait encore autre chose à dire.
    – La dernière nuit que j’ai passée à Cracovie, je l’ai passée debout jusqu’à l’aurore, avec votre père et votre mère. Vous dormiez tous les trois, mais Jan s’est réveillé et nous a accusés de parler trop fort et d’avoir fait fuir son rêve. Tu nous as dit, Jan, que tu rêvais au plaisir que tu aurais à travailler dans les champs de Wezerow et que tu rêvais aussi à ton herbier.
    Villeneuve regarda Jan, les sourcils levés pour voir s’il avait éveillé un souvenir. Jan, n’en ayant aucun, nia de la tête.
    – Mon bonheur a parlé trop fort et moi aussi j’ai perdu un rêve.
    Villeneuve se leva de table et toussota pour la troisième fois. Jan fronça les sourcils, son inquiétude rejoignant celle des autres. Villeneuve s’installa devant une fenêtre et parla à tous, le dos tourné.
    – J’ai rêvé que si le Seigneur avait fait de moi le pasteur des brebis égarées de mes amis, c’était pour me faire vivre les joies que Tomasz et Zofia n’auraient jamais. Je l’ai remercié tous les jours depuis que j’ai reçu cette lettre venant du camp de réfugiés d’Amberg, en 47. Mon rêve s’est coloré de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel quand Jerzy m’a retracé pour que je célèbre son mariage. J’ai trouvé le trésor au pied de l’arc-en-ciel quand vous avez été réunis dans le jubé. Une vraie bénédiction des anges.
    » Le Seigneur a probablement voulu me punir de mon assurance quant au plaisir que j’aurais eu à baptiser l’enfant de Jerzy et d’Anna, votre petit-enfant, madame Jaworska, et celui de Tomasz et Zofia.
    Villeneuve quitta la fenêtre et Jerzy vit qu’il avait les yeux humides.
    – Vous êtes ma seule famille, parce que moi aussi je suis orphelin. Mais un orphelin de mon âge n’est plus qu’une grande personne seule et j’ai tout le presbytère pour combler ma solitude. J’ai même plus. J’ai appris, il y a deux semaines, que demain je devrai quitter Winnipeg pour Gravelbourg, en Saskatchewan. Mon travail y commence au début du mois de septembre.
    Il toussota une dernière fois avant de s’excuser et d’entrer dans la salle de bains. Élisabeth s’était levée, complètement assommée par la nouvelle. Villeneuveavait été une énorme bouée de sauvetage. Anna se rapprocha de Jerzy et lui prit la main.
    – Je ne vois pas qui va baptiser notre petit.
    – Nous en reparlerons.
    Quant à Jan, il était déchiré à l’idée qu’une autre personne disparaisse de sa vie. Il eut honte de penser que son éventuel départ pour Montréal serait d’autant plus facile qu’au moins il n’aurait pas l’impression de chagriner trop de monde. Il sortit de ses pensées, Villeneuve les ayant rejoints en se mouchant bruyamment, ne cachant plus son chagrin.
    – J’ai demandé au Seigneur de me pardonner ma faiblesse. C’est probablement la dernière fois de ma vie que je peux pleurer devant des amis.
    Il renifla et se remoucha, imité par Anna et Élisabeth.
    – Les derniers amis avec lesquels j’ai permis à mes sentiments de se montrer étaient vos parents. Tant pis si le Seigneur ne me pardonne pas.

48
    Le thermomètre marquait trente sous zéro quand Jerzy sortit de la maison et entra dans les bâtiments pour la traite. Il décida ensuite d’affronter le vent et se dirigea vers la rivière qui ressemblait à un magma blanc enfoui sous des brumes affolées, tourbillonnant d’effroi. Emmitouflé pour affronter des froids

Weitere Kostenlose Bücher