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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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glaciers.
    – Quand même, nous avons eu de la neige mais pas depuis des semaines. C’est à se demander d’où sortent toutes ces maudites glaces.
    La rivière transportait aussi des morceaux de maison, quand ce n’était pas des maisons complètes ou des bâtiments entiers. Jerzy y revoyait quelque chose qui ressemblait au dépotoir de Toronto qu’il avait planté de sapins secs, sauf que ce dépotoir-ci allait d’amont en aval. Il ne comptait plus les arbres, les branches et les veaux qui flottaient, ventre énorme et pattes en l’air, les poules qui ne pondraient plus, les carcasses d’automobiles et les morceaux d’instruments aratoires. Il avait entendu Étienne dire que la population se faisait vacciner contre les épidémies. Il pensa aux semis,n’ayant pas l’impression de pouvoir commencer avant la fin du mois de juin.
    – Il faudrait que le ciel nous assèche tout ça rapidement. Nous allons être forcés de mettre les bouchées doubles.
    Jan acquiesça, fuyant le regard de son frère.
    – Ce soir, je n’écoute pas la radio. J’ai une lettre à écrire.
    Jerzy le salua, sachant que la seule correspondance qu’il entretenait était avec M. Favreau. Il ne songea pas au fait que les services postaux étaient à peu près interrompus. Jan entra dans sa chambre et se laissa tomber sur le lit en se couvrant le visage du coude. Il entendit les pleurs de Stanislas et le pas lourd de Jerzy qui s’empressait de calmer son fils avant qu’il n’éveille Anna. Il se leva et, marchant sur la pointe des pieds, alla sortir les lunettes de son père et une des enveloppes de M. Favreau. Il se recoucha, les lunettes posées sur sa poitrine.
    «Je ne sais pas comment dire tout ça, papa. Je ne sais pas. Est-ce que c’est possible que je pense à moi sans faire de peine? Est-ce que c’est possible que j’aille au bout de mes rêves? Je n’ai absolument pas envie de reporter ça à plus tard. C’est dans deux jours, papa. Dans deux jours et j’espère simplement pouvoir me rendre. Maudite eau! Sais-tu quoi, papa? Quand je suis arrivé ici, à Halifax, j’ai regardé l’eau de mer puis j’ai vu qu’elle était propre, nettoyée du sang de la guerre. L’eau, c’est mon alliée. Je ne veux pas qu’elle inonde mes rêves. Dis bonjour à maman.»
    – Jan! Vite! Il faut tout emporter au grenier.
    Jerzy avait la voix si calme que Jan ne prit nullement panique. Il avait devant lui son militaire de frère, celui qui avait assommé quatre hommes en quatre coups de poing. Il l’aida à pousser la trappe du plafond. Ils y glissèrent tout ce qu’ils purent, du lit du bébé aux violons. Jan était en état de choc, son sommeil l’ayant bercé de confiance. Il s’était empressé de mettre l’étui à lunettes dans ses poches avec l’enveloppe expédiée par M. Favreau pour son anniversaire.
    – Qu’est-ce qu’on fait?
    Le niveau de l’eau atteignant déjà un demi-mètre au rez-de-chaussée, Jerzy installa toute sa famille à l’étage. Il tenta de calmer sa belle-mère qui ne cessait de répéter qu’elle ne savait pas nager.
    – Ça ne serait pas utile, madame Jaworska, parce qu’on va venir nous chercher. Nous avons entendu ça des centaines de fois à la radio. Il faut rester en sécurité, préparer ses bagages et attendre du secours.
    Les secours ne tardèrent pas. Des policiers de la Gendarmerie royale du Canada passèrent en canot motorisé, et l’un deux, la voix écorchée par un porte-voix, leur dit qu’ils reviendraient les chercher.
    – Combien êtes-vous?
    – Cinq.
    – Est-ce qu’il y a des vieux?
    Jerzy fut gêné par la question mais il regarda sa belle-mère qui avait quand même un peu plus de cinquante ans.
    – Une.
    – Y a-t-il des enfants?
    – Un bébé de trois mois et demi.
    Les policiers firent un signe entendu et quittèrent. Une heure plus tard, ils étaient de retour avec une chaloupeplus grande. Toute la famille sortit de la maison par le rez-de-chaussée, même si le niveau de l’eau avait maintenant atteint près d’un mètre. Les policiers soutinrent M me Jaworska par les bras, et Stanislas fut porté haut et au sec par son parrain tandis que Jerzy tint la main d’Anna pour marcher dans l’eau glacée. Ils s’installèrent dans l’embarcation et furent enveloppés de couvertures. Claquant des dents, M me Jaworska pria la Vierge, reine de Pologne. Anna, elle, sourit calmement à Jerzy et à Stanislas, la canine résignée. Quant à Jan, il avait

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